La présente livraison des Cahiers du Monde russe étudie à différentes époques, entre le XVIIIe siècle et le XXe siècle, le fonctionnement de la justice en Russie. Elle se concentre particulièrement sur le fonctionnement des organes judiciaires dans leur relation avec l'administration de l'État, impérial ou soviétique. Pour compléter et enrichir une historiographie déjà riche sur la question des pratiques administratives, à laquelle la revue a récemment beaucoup contribué, les différents articles rassemblés ici examinent plusieurs dimensions fondamentales du fonctionnement judiciaire. Il s'agit notamment du lien entre la définition des principes qui doivent guider l'exercice de la justice et l'évolution plus générale des valeurs dans la société russe. Il s'agit également du décalage, souvent présenté comme insurmontable, entre les principes affirmés et les pratiques des institutions, alors que les articles de ce numéro montrent comment la prise en compte des pratiques par l'appareil administratif peut se trouver à l'origine de nouvelles évolutions juridiques. De plus, la confusion entre logique administrative et logique judiciaire, souvent remise en cause dans l'histoire russe mais difficile à réformer, est aussi abordée de plusieurs manières : soit par l'examen du rôle d'agents impériaux dont les prérogatives sont à la fois administratives et judiciaires, soit par l'étude concrète des relations entre instances politiques et administratives et instances judiciaires théoriquement distinctes. L'accent mis sur les pratiques permet aussi d'étudier de façon concrète l'interaction entre, d'une part, les institutions et leurs représentants et, d'autre part, la population dans ses différentes composantes, de s'intéresser aux objectifs et aux modalités de la communication entre les uns et les autres et de prendre en compte leurs attentes réciproques et les perceptions de leurs positions respectives. Les différents articles de ce numéro montrent ainsi que la justice et le maniement du droit, à la fois par les instances qui en ont la charge et par la population elle-même, fournissent un matériau très riche pour saisir les interactions sociales dans l'histoire russe et soviétique.