À l'intersection de l'exégèse biblique et de l'étude iconographique des formes et des figures sur et dans les codex d'époque carolingienne, nous aimerions souligner la rencontre, au premier regard plutôt imprévue, mais nullement improbable, des analogies dressées par les théologiens, tels Bède le Vénérable, Ambroise Autpert, Raban Maur et Haymon d'Auxerre, autour des livres bibliques de l'Exode (28, 15-21), d'Ézéchiel (28, 13) et de l'Apocalypse (21, 18-21), à partir des matières précieuses et des gemmes, avec ces mêmes composantes utilisées avec largesse dans les reliures sculptées d'ivoire qui entouraient de riches manuscrits réalisés autour du souverain carolingien, jusqu'à Charles le Chauve. Les exégètes carolingiens se sont appuyés sur la tradition patristique, en particulier sur Jérôme (v. 345 ?-420) et sur Grégoire le Grand (v. 540 ?-604), ainsi que sur l'œuvre de Bède le Vénérable (673 ?-735). Raban Maur (v. 783-856), dans son commentaire sur l'Exode, reprend tel quel le De Tabernaculo de Bède , et dans son exposition sur Ézéchiel, il alterne des extraits du commentaire d'Ézéchiel de Jérôme et des Moralia in Job de Grégoire . Pour ce qui est des commentaires de l'Apocalypse, Bède est le principal modèle d'Ambroise Autpert († 784) et d'Haymon d'Auxerre (fl. 840-860) . Sur la base de ces auteurs, on peut distinguer l'interprétation générique des pierres précieuses de la patristique, relayée par les exégètes carolingiens, et l'interprétation spirituelle systématique des éléments, et dont le modèle pour les carolingiens est donnée par Bède. Alors que les neuf pierres qui entouraient le roi de Tyr dans la prophétie d'Ézéchiel sont identifiées aux neuf rangs des anges (Grégoire), et que les douze pierres du pectoral d'Aaron et des fondements de la Jérusalem céleste figurent les apôtres (Jérôme), pour Raban Maur il s'agit de mettre en perspective la ressemblance avec le Seigneur, celle de l'homme, et le " signe de la ressemblance " (Ez 28, 12), plus proche de la perfection, celle des anges et des saints apôtres. Avec Bède, l'accent se place dans le sens allégorique de chaque pierre. Dans le De Tabernaculo elles enseignent les miracles et les œuvres des saints, et renvoient à l'articulation entre la perfection des bonnes œuvres accomplies par les prêtres, les faits extérieurs, et la pureté de leur cœur et de leur pensée, agissant intérieurement et les rapprochant du Seigneur. Dans le commentaire de l'Apocalypse, elles montrent la multiplicité des vertus sur lesquelles se construit la Jérusalem céleste. Dieu, constructeur de la cité, fondement des fondements, s'est fait grand-prêtre, a lavé et dédié les murailles de la cité en offrant son propre sang. Les grâces spirituelles reçues par les saints ne se réalisent parfaitement qu'à travers " un seul médiateur entre Dieu et l'homme, Jésus Christ homme " (1Tim 2, 5). Le Christ est la perle de grand prix pour laquelle le commerçant vend tout pour l'acheter (Mt 13, 46). Reprises par les carolingiens, l'exégèse spirituelle des pierres dans les commentaires de l'Apocalypse, demeure liée à une lecture des vertus, " ornements des bonnes œuvres ", mais opère un tournant ecclésiologique important. Pour Haymon d'Auxerre, la cité céleste est l'Église, ses fondements sont les patriarches, les prophètes et les prédicateurs dont la doctrine et l'exemple constituent la structure de l'Église. L'assimilation de la cité céleste à l'Église, ouvre la possibilité, impensable pour les Pères, d'un lieu de réalisation du " spirituel " ailleurs que dans l'au-delà, mais dès maintenant dans l'Église. Pour ces moines exégètes, il s'agit d'agir spirituellement sur terre, pas seulement en vue de l'au-delà. Peut-on lire ce basculement comme un rapport différent entre contenant et contenu ? Est-ce que le passage à l'intérieur du codex de ce qui était auparavant à l'extérieur, dans la reliure, peut être mis en parallèle avec la spiritualisation sur terre des " choses " de l'Eglise ?