Cette communication, proposée conjointement par une littéraire angliciste spécialiste de la littérature du XVIIIe siècle et un géographe tourné vers l'épistémologie des sciences sociales, entend mobiliser des savoirs disciplinaires situés pour interroger l'articulation entre les langages cartographique et littéraire d'une part, et d'autre part entre la science et l'imaginaire. Pour ce faire, deux ouvrages emblématiques non seulement de la littérature britannique, mais aussi du genre du récit de voyage seront convoqués : Gulliver's Travels de Jonathan Swift (1726) et Through the Looking-Glass de Lewis Carroll (1871). Ces deux ouvrages constituent en effet deux étapes majeures dans l'avènement de la modernité aussi bien littéraire que scientifique. Dans cette perspective, le dispositif cartographique joue dans les deux récits un rôle central : aux cartes hyper-réalistes - bien que topographiquement discutables - que Swift commande au célèbre cartographe Herman Moll (1654-1732) pour représenter les voyages de Gulliver, répond l'échiquier que Carroll propose comme carte du pays du Miroir et itinéraire des pérégrinations qu'Alice y effectue. Alors que l'un s'aventure dans des pays imaginaires bien que rigoureusement cartographiés, l'autre s'aventure dans un pays dont seule la dimension ludique prédomine. Au-delà des modalités cartographiques différenciées, ces deux récits assignent à la carte (ou à ce qui en tient lieu) une place essentielle dans le dispositif narratif, ce qui interroge la dimension performative de la carte, entendue désormais comme un discours narratif à part entière. Dès lors, en appliquant à ces textes situés des lectures à la fois modernes et post-modernes, la communication s'attachera à interroger ce qui fait carte en dépassant la lecture habituelle qui consiste à confronter le fictionnel au référentiel. Plus largement, c'est donc la question même de l'intérêt et de la portée de la cartographie du récit littéraire qui sera discutée selon des approches disciplinaires situées. Alors que le temps (et donc son corollaire le récit) constitue la catégorie privilégiée des modernes, s'intéresser à l'acte cartographique invite à interroger la place de l'espace dans l'avènement de la modernité. Plutôt qu'une opposition entre l'espace et le temps entendus comme deux catégories irréductibles l'une à l'autre, cette communication propose au contraire de montrer que temps et espaces fonctionnent davantage comme des polarités qui laissent accréditent l'hypothèse d'un continuum.