Cette communication vise à présenter la recherche interventionnelle ECOALES (" Empowerment, Comportements Alimentaires et Economie Solidaire ") menée en partenariat avec l'Association Nationale de Développement des Épiceries Solidaires (A.N.D.E.S) : les questionnements, la méthodologie et les premiers résultats. L'A.N.D.E.S a mis au point un mode d'approvisionnement en circuit court à destination de l'aide alimentaire en ce qui concerne les fruits et légumes. L'expérimentation est menée depuis juin 2012 en Poitou-Charentes et depuis novembre 2012 en Aquitaine. Un des objectifs de ce dispositif, baptisé UNITERRES, est de revaloriser la relation à la consommation de fruits et légumes des publics défavorisés, et un autre est d'aider temporairement des agriculteurs à se repositionner sur le marché en achetant leurs produits à un prix soutenable. Cette intervention, qui inclut aussi ateliers cuisine et tables d'hôtes, vise donc, entre autres, à l'accessibilité économique des fruits et légumes mais aussi à replacer l'aliment dans ses dimensions sociales, culturelles et participatives, postulant que la valorisation des relations producteurs-consommateurs et des compétences culinaires a un impact positif sur les pratiques et donc sur la santé. L'objectif qui nous intéresse plus particulièrement ici est le volet " soutien au développement de l'agriculture paysanne locale". Après sélection des producteurs partenaires, un dispositif de précommandes et de prix garanti négocié a été mis en place. Une hypothèse forte est que cette nouvelle opportunité commerciale, portée de manière associative au niveau de l'ANDES, a un impact favorable sur la situation des producteurs. C'est ce que le volet développement rural du projet ECOALES propose ici d'évaluer. Méthodologie : L'originalité de la méthode retenue pour la dimension développement rural1 du projet ECOALES est de favoriser le dialogue interdisciplinaire en associant l'anthropologie à l'économie. Cette méthode de recueil des données comporte une partie qualitative, effectuée par deux anthropologues, et une partie plus quantitative par une économiste. La collaboration interdisciplinaire, visant une complémentarité de regards, donc une compréhension plus fine, s'effectue en termes bibliographiques, de croisement des questions de recherche, de complémentarité des données recueillies, permettant une analyse plus riche ; la coordination pour le partage de la collecte des données est importante pour une meilleure efficacité prenant en compte la situation (souvent fragile) de nos interlocuteurs. Du point de vue de l'anthropologie, indépendamment de l'hypothèse d'une " réussite " de l'action, il s'agit d'abord de considérer et de rendre compte du point de vue des producteurs qui y sont engagés : comment vivent-ils cette situation? Il s'agit d'examiner, auprès de chaque agriculteur impliqué, la manière dont est vécue l'intervention, les problèmes et bénéfices rencontrés, les perspectives ultérieures. Il s'agit aussi de recontextualiser l'expérimentation en intégrant à l'analyse des données sur la façon dont elle a été envisagée sur un territoire, les partenaires sollicités, les choix posés et les contraintes éventuelles auxquelles faire face. Le recueil des données technico-économiques, via la passation de questionnaires, est mené par une économiste. Ce volet économique propose d'évaluer l'impact auprès des producteurs, à travers la notion de résilience des agriculteurs, dérivée de l'approche des capacités ouverte par Amartya Sen. Le système alternatif UNITERRES représente-t-il une alternative viable pour les exploitations agricoles concernées (évaluation technico-économique de la viabilité) ? Au-delà, cette opportunité est-elle porteuse de résilience pour l'agriculteur ? L'évolution de la viabilité des exploitations sera analysée à travers l'analyse de l'évolution des performances technico-économiques des 36 exploitations concernées (18 en Poitou-Charentes, 18 en Aquitaine), sachant que l'on aura affaire à un public "hors normes" au sens comptable du terme, compte-tenu du choix de l'ANDES de sélectionner des producteurs dits " en difficulté ". L'évolution de la résilience des agriculteurs sera analysée à travers la construction d'indicateurs. Pour cela, nous nous inspirerons des travaux de Lallau et Thibaut (2009). Premiers résultats : L'engouement actuel pour les circuits courts de la part des politiques publiques territorialisées (et autres porteurs de projet) va de pair, pour le monde agricole, avec la charge de multiples missions, qui souvent négligent leur structuration ou leurs difficultés propres. Il s'agit ainsi d'intégrer ces termes pour réfléchir sur les apports de l'expérimentation, menée par l'A.N.D.E.S en Poitou-Charentes et en Aquitaine. L'analyse ethnologique a d'abord consisté à interroger le/les principes de départ de cette action, (par exemple, le fait de solliciter des agriculteurs signalés comme étant en difficulté) et leur mise en place. D'une part, il a fallu composer avec d'autres critères. D'autre part, certaines situations économiques ou personnelles ont empêché les agriculteurs de s'intégrer au programme. Les observations et entretiens réalisés au démarrage de cette action ont ainsi apporté des informations sur son accompagnement et les relations avec les institutions et autres associations en lien avec les agriculteurs, en tenant compte de la question des conditions de sa pérennisation. Les deux anthropologues effectuent, selon une approche globale, une enquête de terrain (incluant de l'observation participative) auprès des différents protagonistes impliqués dans ce dispositif : tous les agriculteurs bien sûr, mais aussi les partenaires, représentants des différentes institutions soutenant ce projet (Régions Aquitaine et Poitou-Charentes, DRAAF, MSA, Chambres d'agricultures, etc. ), les personnels des épiceries concernées, des bénéficiaires ainsi que les deux coordonnateurs chargés de la livraison hebdomadaire des produits dans les épiceries. Des entretiens semi-directifs sont systématiquement menés auprès de ces personnes, puis retranscrits. Il est en effet indispensable de prendre en compte les conditions du " recrutement " des agriculteurs impliqués, leur positionnement par rapport à ce projet et donc par rapport à l'aide alimentaire, l'évolution de leurs relations avec les coordonnateurs, les épiceries, et, s'il y a lieu, avec les bénéficiaires. Il est important aussi d'évoquer leurs relations avec les institutions agricoles. L'analyse sera complétée par des entretiens auprès des " prescripteurs " du monde agricole afin de mettre en lumière la manière dont est mise en place cette intervention et s'organise la coordination entre producteurs et épiceries. Nous examinerons également la manière dont cette action est envisagée par les agriculteurs mais aussi des bénéficiaires de l'aide alimentaire comme entrant (ou non) dans une logique d'insertion et de participation à la vie économique, sociale, culturelle locale. Afin de recueillir une image de la façon dont l'approvisionnement en circuit court est pensé (ou non), dans un contexte général d'externalisation des pratiques alimentaires, comme un moyen d'accéder à la consommation de produits de " qualité " ou d'être en meilleure santé. Nous dresserons également un tableau du ressenti et du vécu des agriculteurs par rapport à cette action: le fait d'approvisionner l'aide alimentaire, d'être un maillon de la solidarité, et les liens éventuels établis avec des bénéficiaires. A travers le recueil d'histoires de vies, nous examinerons chez ces agriculteurs les évolutions, les freins et leviers, vers une agriculture durable et une reprise d'autonomie (" empowerment ").