Depuis une vingtaine d'années, la haute montagne pyrénéenne fait l'objet de recherches interdisciplinaires visant à restituer les dynamiques des systèmes d'estivage dans le temps long. L'enquête menée à micro échelle sur le versant d'Enveig montre qu'au cours des sept derniers millénaires, les logiques d'exploitation des versants n'ont cessé de changer. Ces changements s'expriment notamment à travers des variations importantes de la structuration des sites de moyenne altitude (1600 - 2000 m), qui oscillent entre deux pôles : ils semblent tantôt se rattacher aux modes d'exploitation agro-pastoraux des étages inférieurs, tantôt aux formes de pastoralisme exclusif développées à l'étage alpin. Dans cette perspective de longue durée, il est possible, à partir du Moyen Âge, de confronter les sources archéologiques et paléoenvironnementales aux principaux basculements sociaux que révèlent les textes. Le caractère structurant de la gestion de ces espaces montagnards dans l'organisation générale des communautés rurales des vallées se révèle alors pleinement. L'une des tensions constantes qui animent ces communautés réside dans le mode de partage entre les maisons des ressources des espaces collectifs. Cette tension induit des stratégies dont les outils sont tour à tour la délimitation spatiale des contours des communautés (processus de territorialisation) et leur délimitation sociale (distinction entre les ayants droit à la montagne et les autres). Sur le haut versant d'Enveig, ce tiraillement entre deux aspirations contradictoires, l'appropriation individuelle des communs et leur possession collective, s'exprime de façon le plus souvent sous-jacente. Sur le versant de Llo en revanche, les textes montrent la floraison, partir du milieu du 13e s., d'unités d'exploitation agro-pastorale spécifiques, les cortals, qui opèrent cette fois véritablement l'appropriation d'îlots de terres hermes dans la moyenne montagne (1600-2000 m). Ces îlots peuvent être lus de différentes manières. Vus d'en bas, ils sont la projection en altitude des stratégies des maisons. Mais vus d'en haut, ils génèrent des espaces complexes, constitués de terres de culture appropriées et de droits sur les étendues alentour, qui sont la source de nouvelles formes de voisinage. Celles-ci ne sont pas si secondaires que cela puisqu'elles engendrent parfois de nouveaux villages. La question est alors de savoir comment de telles émergences sont possibles, et quel rôle y joue l'alternance des voisinages au fil des espaces exploités. Peut-être y a-t-il là une piste pour une relecture de ces structures territoriales particulières, si fréquentes dans les Pyrénées, que l'on appelle communautés à plusieurs étages et qui assurent la coexistence de différents niveaux d'appartenance et de citoyenneté (hameau, quartier de montagne, vallée tout entière).