Je propose d'aborder les problèmes de l'éthique d'une manière apparemment nouvelle, en adoptant comme prémisses que‎ : (1) les philosophes européens, sauf de rares exceptions (comme Blaise Pascal, Leibniz, ou, je crois, Rousseau), ont abordé les problèmes de l'éthique à partir de l'idéal d'un agent supérieurement maître de lui-même ; un tel super-agent serait capable de gouverner directement (et par conséquent synchroniquement) ses désirs, ses sentiments, ses passions, voire (comme le prétendent les stoïciens) ses croyances -- et, corrélativement, il serait capable d'une action qui serait moralement droite de manière solide et stable, voire intrinsèque‎ ; (2) cet idéal de l'agent fortement autonome, capable d'une action solidement morale, est utile à des agents faibles d'un point de vue seulement épistémique, dans la mesure où il leur permet de se représenter ce qu'ils feraient s'ils étaient beaucoup moins faibles -- mais cela leur est inutile d'un point de vue pragmatique, puisque l'éthique fondée sur cet idéal n'est pas taillée à la mesure de leur faiblesse‎ ; (3) nous sommes des agents faibles‎ ; (4) une éthique pour agents faibles est possible, et nous pouvons la découvrir dans les recoins de la tradition philosophique, y compris chez les auteurs qui ont formulé une éthique pour agents supérieurement maîtres d'eux-mêmes, de sorte que cette éthique est nouvelle seulement pour ceux qui ne sont pas sensibles à l'ambiguïté des classiques de la philosophie morale.