Chanson révolutionnaire, politique, contestataire, militante, engagée… autant d’expressions lexicalisées qui attestent les rapports étroits qui ont toujours existé entre ce genre populaire et les transformations et mouvements qui animent les idées et les sociétés. Quoi d’étonnant, si l’on considère que les caractéristiques génériques de ce genre musical l’associent plus que tout autre aux aspirations populaires et à une collectivité non sélective. Du point de vue historique, ce n’est pas par hasard si chanson et rhétorique sont deux outils signifiants sous-tendant l’action révolutionnaire : la chanson, pas plus que la rhétorique, n’a besoin du filtre de l’apprentissage pour être comprise. Elle s’adresse à tous sans discrimination culturelle ou sociale, comme le discours, et de la Révolution de 1789, pour exemple, nous sont parvenus discours révolutionnaires et chansons. L’autre caractéristique générique qui lie ces deux types d’expression à tout mouvement populaire, est leur appartenance à l’oralité, qui leur assure une diffusion massive dans toutes les couches de la population et un degré de réactivité important par rapport aux événements historiques. Mais si la chanson française participe de toutes les révolutions, elle opère aussi ses propres révolutions. Elle est, surtout au XXe siècle, en mutation constante : révolutions technologiques et médiatiques, révolutions dans l’utilisation de la voix et au sein de la performance… L’innovation artistique, génératrice de désordre par rapport à la tradition, puisqu’elle remet en cause les normes préexistantes, relève à sa manière de la révolution. Mais la chanson ne sacrifie-t-elle pas alors son pouvoir fédérateur et contestataire sur le plan politique et social, pour devenir une forme de substitution ritualisée dans la performance, une révolution interne, exutoire des tensions sociales ? Plutôt qu’un tremplin au changement et à la révolution, elle deviendrait alors un succédané de la contestation, un régulateur social, par la catharsis qu’elle opère.