L’ouverture de la frontière entre l’Albanie et la Grèce au début des années 1990 et les nouvelles pratiques qui y sont apparues s’accompagnent, du côté albanais, d’un renouvellement des idées sur l’origine des Albanais et des Grecs et sur leurs relations depuis la plus haute antiquité. Au centre de ces représentations de l’histoire et de la frontière se trouvent les Pélasges, population préhellénique dont l’existence est discutée chez les savants, mais dont de nombreux amateurs se sont emparés pour en faire les ancêtres des Albanais. On peut montrer que la réinvention des Pélasges comme ancêtres nationaux depuis les années 1990 répond à la nouvelle situation créée à la frontière. Elle renverse en particulier la relation inégalitaire qui prévaut entre les migrants albanais en Grèce et la société d’accueil, en faisant des Albanais les descendants d’une population autochtone dans tous les Balkans, plus ancienne que les Grecs et à laquelle ces derniers doivent une grande part de leur civilisation. Dans ce texte, je montre le rôle joué par les Pélasges dans la redéfinition de la frontière symbolique entre Albanais et Grecs, en liaison avec les pratiques et les représentations de la frontière physique. Je m’intéresse en particulier à trois objets qui participent à ce travail de remodelage de la frontière : une robe en forme de cloche, des chants de lamentation et une montagne oraculaire. Tous contribuent à ré-enchanter la frontière, c’est-à-dire à lui attribuer une forme de transcendance au delà des contraintes de sa réalité quotidienne.