Depuis quelques années, plusieurs enquêtes soulignent une évolution sensible des représentations de certains hommes, plutôt dans les jeunes générations et dans les classes moyennes, qui disent vouloir se distancier du modèle traditionnel du « chef de famille » et se (re)présentent comme le « compagnon » aidant d’une femme active dans une vision plus égalitaire de l’éducation des enfants. Cette évolution partielle des discours se traduit paradoxalement peu dans les pratiques masculines d'articulation travail-famille, notamment sur le plan de la répartition du travail domestique et parental. Pour comprendre ce paradoxe, ce chapitre s'appuie sur une enquête par méthodes mixtes (récits de carrière, statistiques du personnel, enquête par questionnaires) menée dans une grande entreprise industrielle française entre 2005 et 2007 qui avait pourtant été une des plus en pointe dans l’invention de formules collectives de réduction du temps de travail, y compris pour les cadres, à la fin des années 1990. Nous montrons d’abord la permanence de normes de carrière masculines fondées sur le dévouement et la subordination des contraintes privées aux besoins de l’entreprise. Ce modèle de carrière est porté par les dirigeants hommes actuels et reste faiblement questionné par les jeunes hommes cadres identifiés comme "à potentiel" de futur dirigeant. Nous analysons ensuite, dans un contexte de féminisation croissante de la catégorie des cadres, la diversité des tactiques employées par leurs collègues féminines, les femmes cadres identifiées "à potentiel", pour faire face aux injonctions de mobilité et de disponibilité. Ces tactiques varient en fonction de leurs ressources (diplôme, origine sociale et configuration familiale).