Sens et fonction de l'eidos et de l'eidétique dans la phénoménologie naissante : la controverse Husserl / Scheler
Résumé
La question de la nature de l’essence — dénommée par Husserl également « Eidos », à partir de 1913 — de sa fonction ontologique par rapport aux autres types d’étants, de son mode d’être, et des conditions épistémologiques de la légitimité d’une supposée « connaissance des essences », a été très tôt comprise, dès les premiers commencements de la phénoménologie (1900 – 1907), comme une question méthodologiquement vitale, décisive pour la possibilité même et pour le sens de la connaissance phénoménologique.
Et ce, non par Husserl uniquement, mais par tous les membres de l’« École phénoménologique » à ses débuts. Parmi eux, en particulier, l’un des plus critiques et certainement le penseur le plus profond, Max Scheler, l’autre co-fondateur de la méthode phénoménologique.
L’enjeu, pour Husserl et Scheler comme pour la phénoménologie en général, est fondamental : il y va de la possibilité de la philosophie, comme seule science capable d’évaluer la portée et d’interpréter les résultats des sciences positives, nécessairement empiriques, limitées par la contingence de leurs objets.
Tous deux s’accordent donc à reconnaître au procédé de l’ « intuition d’essence » (Wesensschau, Wesensanschauung) une fonction méthodique capitale. Tous deux y trouvent un aspect fondamental de la « réduction phénoménologique ». Husserl parle même, assez tôt, de « réduction eidétique ».
Mais là commence la controverse, puis l’opposition tranchée, entre la conception « idéaliste » de l’un, et l’approche « réaliste » de l’autre : Dans quelle mesure la saisie de l’essence (Wesen) peut-elle être légitimement considérée comme un acte d’intuition ? N’est-ce pas retomber dans un ‘platonisme’ — dogmatique — tout à fait dépassé ? En quel sens y a-t-il « vision » des essences ? Et quel type d’« objectivité » peut-on leur reconnaître ?
Et surtout : Si l’intuition de l’essence en tant qu’eidos est une « réduction » — qu’abandonnons-nous par ce procédé réductif ? Comment une ‘réduction’ à la teneur d’essence peut-elle n’être pas un appauvrissement du donné connu, mais au contraire garantir un surcroît de vérité ?
C’est ce que l’on s’efforcera de rendre clair, en confrontant divers textes-jalons du débat qui s’est développé, de 1901 à 1928, entre Husserl et Scheler.
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