Les sciences humaines et sociales, et plus particulièrement l’anthropologie, se sont avec beaucoup d’insistance intéressées à la régularité de la vie sociale. Cette régularité est entendue d’une part comme une fréquence statistique ou un caractère « représentatif » des manières de faire et de penser partagées, ou, d’autre part, comme logique sous-jacente des faits socioculturels — la régularité exprimée comme règle — d’autre part. Ordinairement, les moments historiques et les événements sociaux qui remettent le cours habituel de la vie en question et qui perturbent les représentations sont relégués au statut de crise, d’exception, d’anomalie ou de déviance et sont étudiées comme telles. Dans cette intervention, nous suggérons une approche que nous pensons plus constructive. Ces moments critiques de la vie sociale, qui seront appelés situations d’incertitude, à la fois suggèrent une méthode, reflètent des données spécifiques et permettent de proposer des concepts analytiques. Sentiment vécu produisant une incapacité ou la difficulté à anticiper, ces moments charnières de la vie sociale engendrent l’explicitation et la hiérarchisation de valeurs sociales. Les situations d’incertitude, loin de nous révéler seulement les régularités vers lesquelles elles sont pensées devoir se rabattre deviennent ainsi des témoins des valeurs pensées fondamentales dont la hiérarchisation oriente le changement social. L’intervention proposera des définitions heuristiques de ces situations d’incertitude pour ensuite les illustrer par des exemples ethnographiques et historiques d’Australie et du Vanuatu.