La distinction entre « bonne » et « mauvaise » victime suscite les plus vifs débats dans le Pérou d’après-guerre. Le mémorial de la capitale El Ojo que Llora se veut être un hommage à « toutes » les victimes du conflit armé interne, pourtant force est de constater la hiérarchisation de celles-ci par les différents acteurs en présence. La polémique autour de ce monument nous offrira un point d’entrée afin d’analyser les positions antagonistes concernant le statut des victimes et les ontologies de la violence qui en découlent. Les sentiéristes, souvent considérés dans leur ensemble comme des « mauvais sujets » absolus, se retrouvent en effet fréquemment exclus de la catégorie de victime. Ce processus d’exclusion de certains morts sera interrogé non seulement dans le contexte intellectuel liménien mais aussi dans celui des campagnes andines. En effet, les Andes centrales du pays ayant constitué l’épicentre de la guerre, nous déplacerons notre regard vers les communautés paysannes des Andes d’Apurimac où a été érigée une réplique du mémorial liménien. Nous rendrons compte de la manière dont a été intériorisée la catégorie normative de « bonne victime » par les paysans des Andes et de la façon dont la subjectivité des acteurs vient complexifier les hétéro-désignations de « bourreau » et de « victime » qui correspondent à des enjeux cruciaux sur la scène nationale comme au niveau local.