La question du genre n'est pas anecdotique dans les professions indépendantes de manière générale (artisanat, agriculture, etc.), mais il est utile d’y revenir dans un contexte singulier : un métier fortement féminisé depuis les années 1990, et dont la très grand majorité des membres - issus des fractions cultivées de la classe moyenne - se revendiquent d’une culture ou d’une appartenance politique « de gauche » et égalitariste Comment la question du genre s’immisce-t-elle dans la manière dont les céramistes exercent leur métier, en particulier lorsque leur conjoint.e l’est également ? Pour aborder cette question, nous mobilisons des matériaux empiriques issus d’une thèse réalisée entre 2009 et 2014, et en particulier, 50 entretiens semi-directifs, un questionnaire (n=218 soit environ 10% de la population de céramistes estimée), et de nombreuses observations dans les lieux de travail et de vie des enquêté.e.s. En mobilisant une sociologie du travail attentive à l’activité et aux conditions concrètes de celle-ci, on observe des différences entre hommes et femmes sur divers plans : organisation du travail et identités professionnelles, rémunérations, rôle dans la sphère familiale. Dans un métier où l’endogamie professionnelle est importante, les arrangements entre les sexes autour des tâches domestiques et professionnelles génèrent une invisibilisation symbolique pour les femmes céramistes (en termes de « nom » et de réputation), mais aussi matérielle (statut, couverture sociale…). Cette invisibilisation est généralement acceptée par les deux conjoints, et traduit un rapport particulièrement distendu et problématique à l’aspect légal et bureaucratique du métier, souvent considéré par les enquêtés – hommes et femmes confondus - comme du « sale boulot ». Elle témoigne aussi, au sein des couples de céramistes, d’une répartition naturalisée et intériorisée des rétributions au sein de l’entreprise et du foyer. Enfin, cette invisibilisation ouvre plus largement des questionnements politiques sur l’hermétisme (paradoxal ?) de certains espaces artistiques aux pratiques égalitaristes – ici en termes de genre, dont certains professionnels se réclament pourtant sur le plan identitaire. En creux, ces inégalités de genre persistant dans une profession peuplée d’individus largement dotés en capitaux interroge la prégnance de la domination masculine par-delà les frontières de classe.