Avec la montée des plaintes concernant les conditions de travail, le stress, l’intensification du travail, l’angoisse de perdre son emploi et d’être déclassé, il n’est pas rare d’entendre évoquer, dans les médias et les entretiens de certains salariés, la prise de substances psychoactives (légales ou non) pour tenir le coup, étouffer les souffrances ou augmenter les performances. Pourtant il n’existe encore que peu de travaux en sociologie du travail sur le sujet . Sans doute la complexité des liens entre travail et consommation de substances psychoactives très hétérogènes (tabac, alcool, café, médicaments, drogues « dures » ou « douces », etc.) explique une part de cette prudence ; tout comme la volonté de ne pas participer à ce que certains perçoivent comme la construction du problème des drogues au travail dans le cadre d’un processus de disciplinarisation de la main d’œuvre. Au sein de plusieurs grandes entreprises, des campagnes de « promotion de la santé » tentent en effet d’agir sur les attitudes des salariés pour réduire les consommations de drogue, de tabac ou d’alcool comme s’il s’agissait de choix individuels sans liens avec le travail. Pourtant, il est bien difficile de dire a priori si une consommation est provoquée par le travail, le contexte personnel et privé ou la simple recherche de plaisir ! Quand des difficultés professionnelles et/ou économiques rejaillissent sur la vie privée et peuvent expliquer la recherche de petits plaisirs consolatoires à travers la consommation de stupéfiants, il est délicat d’avoir une attitude moralisatrice et de « condamnation de la victime ». Comment la souffrance – également une construction sociale complexe – et la consommation de substances psychoactives (légales ou non) peuvent être liées ? Les recherches épidémiologiques donnent quelques pistes, mais restent difficiles à interpréter. Il existerait des schémas collectifs tant dans la perception et la gestion du mal-être au travail, qu’en ce qui en ce qui concerne les représentations que les usages de substances psychoactives. Après avoir rappelé le cadre général d’analyse de la construction collective du stress et des consommations ainsi que les différences de genres ou entre CSP, quatre illustrations rapides à partir d’observations sociohistoriques et ethnographiques sur les ouvriers, les infirmières hospitalières, les policiers et les conducteurs de bus, donneront un peu de chair à cette analyse.