Au chef-d'œuvre de Florus de Lyon, la grande Expositio augustinienne, la tradition historiographique oppose couramment une autre grande collection, dite «des Douze Pères». Cette symétrie était d'autant plus facile à penser que «les Douze Pères» sont restés inédits jusqu'à une époque très récente ; et l'édition princeps elle-même voit dans cette collection une unité essentielle, une œuvre achevée, que son auteur aurait conçue telle que nous la connaissons. On retrace ici la façon dont cette représentation a pris naissance dans l'historiographie, et s'y est ancrée. Puis lorsqu'on analyse l'objet lui-même, beaucoup de faits viennent contredire cette représentation traditionnelle : des détails du texte, la structure de la collection, ou encore sa situation dans l'ensemble de l'œuvre de Florus, montrent qu'elle est plutôt l'assemblage d'une douzaine de «dossiers», au sein d'une plus grande série de dossiers similaires. Bien loin de s'arrêter au nombre symbolique de douze, la série était ouverte et continuait de s'enrichir au moment où la mort a interrompu le travail de Florus : l'ensemble des dossiers est alors resté dans un relatif état d'inachèvement, que l'état actuel de la collection reflète encore. La collection de douze apparaît ainsi comme un recueil matériel plutôt qu'étudié, un recueil réuni par les circonstances du travail concret plutôt que par l'unité propre d'un plan concerté : ce n'est pas à proprement parler «une œuvre» de Florus de Lyon, mais elle nous ramène en amont de l'œuvre, dans l'atelier même de l'intellectuel carolingien.