Selon George Coedès, Jayavarman II fondateur de la royauté angkorienne, aurait libéré le Cambodge de la suzeraineté de Javā vers 802. On n'a pas trouvé de stèle de ce souverain mais les épisodes de son avènement et de son règne seront relatés deux siècles plus tard dans la célèbre inscription de Sdok Kak Thoṃ (K.235, XIe siècle). Le texte nous dit : « Sa majesté vint de Javā pour régner dans la cité d'Indrapura »… Ensuite, le roi alla s'installer dans la plaine au nord du Grand Lac accompagné d'un savant brahmane comme chapelain. Après avoir régné à Hariharalāya puis fondé la cité d'Amarendrapura, le roi installa sa capitale sur le mont Mahendra (Phnom Kulen) et fit venir un brahmane savant dans la science magique afin d'assurer le rituel du Devarāja et l'enseigner au chapelain, « pour que le pays des Kambujas ne fût plus dépendant de Javā, et qu'il n'y eût plus qu'un seul souverain qui fût chakravartin », c'est à dire monarque universel. Sans prendre trop de risques, il est possible d'imaginer la succession des événements rapportés dans l'inscription de Sdok Kak Thoṃ. Le futur Jayavarman II quitte un pays nommé Javā (rébellion contre un pouvoir étranger !), s'installe (par conquête) à Indrapura situé quelque part au sud-est du Grand Lac, puis se déplace dans la plaine de la future Angkor (il agrandit son domaine) et se fait proclamer monarque universel sur le mont Mahendra (rejet de la suzeraineté de Javā et unification des Kambujas). Ce raccourci s'inspire librement des conclusions de Claude Jacques (1972: 219-20) sur la carrière de ce grand conquérant unificateur que fut Jayavarman II. Si le cadre historique est bien compris dans ses grandes lignes, la localisation du Javā reste toujours le grand problème non résolu. L'hypothèse proposée est que le khmer javā ɟəbaː (le Javā de Jayavarman II) désigne le (ou une partie du) Zhenla de terre pour les autres Khmers. De même que le môn ja’ḅa’ ɟəɓaʔ par lequel les anciens Môns devaient désigner ce même Zhenla, ce vocable nous ramène à la signification de “montagne” (au sens le plus large) et de “monticule, tertre” (au sens le plus restreint), précisons “tertre artificiel” comme lieu de culte et de cérémonies. Les anciens Khmers, et eux seuls, étaient identifiés par leurs voisins comme le “(peuple des) monticules” parce qu’ils pratiquaient des cérémonies et des rites autour de monticules. Que s’est-il donc passé au VIIIe siècle ? Pourquoi Jayavarman II unificateur des régions khmères libère-t-il son peuple du joug du Javā (forme khmère du môn ja’ḅa’ ) — le Zhenla de terre — après l’avoir quitté, et pour finir se faire proclamer chakravartin “souverain universel” ? La linguistique va nous aider à restituer la situation politique et à retracer la trame des événements. Au début du VIIIe siècle, le nord du Zhenla a dû tomber sous la domination des Môns qui l’ont nommé ja’ḅa’ (traduction de bhnaṃ), transcrit javā par les Khmers. C’est donc la mainmise des Môns sur la moitié nord du Zhenla qui est la cause directe de la partition de ce pays en deux entités, le Zhenla de terre et le Zhenla d’eau. On connaît la suite, Jayavarman II, par conquêtes et reconquêtes, a réunifié le pays des Kambujas dont il s’est fait proclamer souverain universel en 802 sur le Phnom Kulen. Ces événements marquent le début de la prestigieuse période angkorienne.