Depuis la seconde moitié des années 1990, de nombreuses villes européennes ont opté pour une politique volontariste de développement de l’offre en transports publics, présentée par les autorités locales comme un moyen de répondre à la contrainte environnementale en offrant une alternative à la voiture individuelle. En France, ce renouveau s’est plus spécifiquement traduit par la mise en circulation d’un nombre important de lignes de tramway. L’essor du tramway moderne, moins de trente ans après la fermeture de la quasi-totalité des lignes anciennes, peut surprendre. Certains observateurs ont affiché un scepticisme critique à l’égard d’une « mode » coûteuse, qui serait peu efficace tant en termes de progression des parts de marché des transports publics que du point de vue de la réduction des émissions de CO2 (Carmona, 2001) ou s’imposerait comme une solution uniformisée à des problèmes différenciés (Offner, 2001). L’engouement pour les modes ferroviaires au détriment de solutions plus légères (type bus) suggère que l’effet recherché n’est pas uniquement d’améliorer la desserte fine du territoire urbain, ni la qualité de service fournie aux habitants et aux usagers des villes. C’est également – et peut-être surtout – autour de la mise en valeur du territoire que se construisent les représentations qui orientent et légitiment les décisions locales autour des projets de Transports Collectifs en Site Propre (TCSP). Le débat récent autour du Grand Paris Express, projet de métro automatique en rocade pour l’agglomération parisienne, illustre bien la force symbolique du réseau de transport dans sa qualité de lien, dans la capacité à stimuler le développement local que lui attribuent les élus et, plus généralement, dans l’image qu’il donne d’une métropole attractive, en mouvement (Orfeuil, Wiel, 2012 ; Gallez, 2014). Au-delà des simples enjeux de l’organisation des déplacements, l’élaboration et la mise en œuvre des projets de TCSP sont l’occasion pour de nombreuses collectivités d’aborder de manière concrète la problématique de l’organisation territoriale et institutionnelle à l’échelle de l’agglomération. C’est à travers les relations entre les enjeux de transports urbains et les dynamiques de la coopération intercommunale que nous proposons d’appréhender, dans ce chapitre, la relation du tramway à son territoire. Alors que l’intercommunalité semblait s’imposer comme une solution pratique face aux limites imposées par le morcellement communal, le lent développement des Autorités Organisatrices de Transports Urbains (AOTU) intercommunales suggère que les logiques fonctionnelles n’ont pas été dominantes dans le choix des acteurs locaux. Les stratégies de coopération des communes s’inscrivent dans des histoires longues, fortement dépendantes des caractéristiques urbaines, sociales et politiques locales (Gallez, Menerault, 2005). Par ailleurs, l’extension des lignes de transport, l’amélioration de la qualité des services tout comme l’accès des communes au réseau sont appréhendés comme des problèmes politiques dont la portée dépasse largement les seuls aspects sectoriels de la gestion collective d’un service public. Si le caractère politique du développement des transports collectifs et la volonté des acteurs locaux de négocier leur accès au réseau ou d’en maîtriser l’extension ne sont pas récents, comme le rappelle l’histoire des réseaux ferrés urbains (Beaucire, 1988 ; Larroque, 1990 ; Dupuy, 1991), nous souhaitons montrer que la politisation des enjeux et des projets a pris une ampleur nouvelle avec le processus de décentralisation et les réorganisations récentes du pouvoir local, marquées par le processus de structuration politique des agglomérations.