La théorie atomistique n'a nul besoin de l'hypothèse de l'existence des dieux. En ce sens, la présence de références réitérées à la divinité au sein du corpus démocritéen pose problème. Les propos de l'atomiste concernant les dieux présentent même un caractère apparemment contradictoire: "Que dire de Démocrite, qui place au nombre des dieux tantôt les images et leurs détours, tantôt la nature capable de répandre et d'émettre les images, et tantôt notre science et notre intelligence?" (Cicéron, De la nature des Dieux, I, XII, 29). Pour le moins, l'atomiste "paraît hésiter touchant la nature des dieux" (Ibid. XLIII, 120). Le but de cette étude consiste à tenter de rendre compte de cette difficulté de la pensée de Démocrite à la lumière d'un rapprochement avec la perspective protagoréenne sur la religion et sur les dieux. La mention de la divinité, par Démocrite, correspond à une double exigence. La première entend satisfaire à la nécessaire mise en oeuvre d'une interrogation de nature épistémologique et psychologique sur la croyance aux dieux; l'atomiste systématise et fonde en nature la dénonciation d'une conception anthropomorphique de la divinité amorcée par Protagoras. Outre une analyse du rôle joué dans la croyance par les noms divins et les images divines, dont on trouve initialement trace chez Protagoras, Démocrite, inaugurant une approche de type psychologique, met en évidence les mécanismes de l'âme humaine qui engendrent la croyance - illusoire - en Dieu et propose des apparitions divines une explication de nature strictement scientifique se fondant sur la théorie des simulacres. La seconde orientation abandonne le domaine de l'iconoclastie et correspond à l'élaboration d'une forme bien particulière de théologie. L'atomiste, reprenant la belle image protagoréenne de l'étincelle divine, dans une perspective pleinement compatible avec les principes du système atomistique, réintègre le divin en l'homme, faisant de l'intellect humain, constitué d'atomes ignés, l'unique réalité théique.