Poésie vive et machine du poème. De quelle manière « l'âge classique 1 » at -il pu envisager la relation entre, d'une part, les êtres vivants et la notion de vie, et, d'autre part, les formes poétiques 2 ? Une telle question implique des difficultés assez considérables, dont on peut prendre la mesure à partir de l'intitulé adopté pour ces rencontres. La formule « dessein esthétique » impose deux premiers problèmes. Si le « dessein » est bien une catégorie (une idée) importante pour la pensée classique-et particulièrement pour la réflexion sur les arts-elle ne l'est pas au sens où nous l'entendons. Certes, « dessein » désigne bien une « volonté », un « désir de faire ou de dire », autant qu'un « plan », un « projet », ainsi que l'« élévation ou le profil d'un ouvrage qu'on veut faire » 3. Mais le dessein, c'est aussi le dessin 4. Si la notion est essentielle pour comprendre comment la pensée classique envisage le rapport entre l'esprit et les formes, c'est parce qu'elle permet, à partir d'une ambiguïté féconde, de superposer « dessein » et « dessin » 5. Cette proximité est une première invitation à envisager les formulations esthétiques de la notion de totalité. Le dessein, pour le Dictionnaire de l'Académie 6 , est un projet. Il est alors la représentation « dans l'imagination » de « l'ordre, de la distribution et de la construction d'un tableau, d'un poème, d'un livre, d'un bâtiment ». C'est l'ordonnance préalable et toute spirituelle des parties, dont l'exécution est la transposition et la disposition sur la toile ou dans l'espace. C'est l'agencement premier, « dans l'imagination », qui garantit l'organisation du tableau, du poème, du livre ou du bâtiment. Le Dictionnaire universel de Furetière 7 joue lui aussi sur l'ambiguïté entre « dessein » et « dessin ». Dessiner, c'est « Exprimer sur le papier ou sur la toile le dessein qu'on a dans la pensée de quelque tableau, ou de quelque bâtiment ». Le dess(e)in, lorsqu'il est la première projection matérielle de l'idée, se trouve associé à la phase préparatoire de l'oeuvre. Or, ce n'est pas l'organisme qui, durant l'âge classique, représente cette totalité, mais, nous le verrons, c'est du côté de l'idée de machine qu'il faut en chercher les images. La machine est elle aussi l'exécution d'un dessein préalable qui suppose le support d'un dessin, ce qui implique son caractère d'invention et sa parenté avec la notion de fiction. Le second problème que pose l'idée de « dessein esthétique » résulte de l'adjectif. Il est en effet difficile d'envisager que la notion d'esthétique possède, pour la pensée classique, la même pertinence que celle de dessein. Il y a bien, et depuis fort longtemps, une réflexion sur les arts, mais rien n'assure définitivement qu'elle puisse relever de ce que l'on ne nomme qu'assez tardivement une « esthétique » : le terme, et certainement la notion, n'apparaît qu'au cours du 18 e siècle, chez Baumgartner. Il n'est repris en France par Sulzer qu'à la toute fin du siècle. Cette question de mot n'est pas inessentielle, puisque l'on peut tenir l'apparition de la notion d'esthétique comme l'un des signes de la fin de l'âge classique 8. Si l'on envisage l'autre versant de l'intitulé, du côté de la métaphore, on se trouve en face de difficultés au moins aussi redoutables. La notion de métaphore n'est bien sûr pas absente du discours des poétiques et des rhétoriques, mais elle y possède un statut théorique qui rend problématique les 1 Entendons de façon rapidement opérante les 17 e et 18 e siècles, à charge de réfléchir au principe d'une unité plus organique. 2 Où « poétique » est entendu dans un sens large (théâtre, poésie, roman), que ne recouvre pas encore le terme de « littérature », tel que l'emploie l'âge classique. 3