Ce texte pose la question de la cinéphilie des téléchargeurs de films observée entre la fin de l’ère Napster (premier réseau de P2P fermé par les autorisés américaines en 2001) et celle de MegaUpload fermé en 2012 par les autorisés néozélandaises. Cette décennie est caractérisée par la disparition progressive des verrous technologiques dont a longtemps pâti le téléchargement de fichiers lourds corrélativement à la généralisation de l’ADSL et la montée en puissance de la consommation de flux (streaming). Peu d’études se sont cependant intéressées au téléchargement et au streaming sous l’angle de la sociologie de la consommation, en considérant ces pratiques d’appropriation des contenus comme un témoin permettant de déterminer une évolution tendancielle du goût des cinéphiles avec l’objet cinéma. En 2003, à travers un chapitre d'ouvrage sur la question, puis en 2005 à travers l'encadrement de l'enquête de terrain d'Olivia Wojnas, nous avancions cette hypothèse d’une « nouvelle pratique cinéphilique » dans deux études consacrées à la sociologie des pratiques de piratage, en cherchant à comparer les contenus téléchargés avec ceux des canaux de distribution de l’offre légale. Bien avant la publication du livre La longue Traine de Chris Anderson (2006 pour sa traduction française et octobre 2004 pour l'article original), un certain nombre d’indicateurs convergeaient déjà pour montrer que, dès le début de la première décennie des années deux mille, la pratique du téléchargement (quel que soit son mode : P2P, newsgroups, file sharing, streaming ou link sharing) révélait, au-delà d'un simple "jeu" des consommateurs consistant à déjouer les règles d'un marché organisé, une appétence grandissante pour les cinéphilies dites « de niche », avatars d’une vidéothèque mondiale devenue avec le temps quasiment inaccessible sur le marché du commerce de détail. Cet article contextualise la pratique du téléchargement selon les méthodes d'approche de la CCT (Consumer culture theory) en s'attachant à en décrire les déterministes sociaux et culturels.