En février-mars 1968, la télévision française programme, entre 19h45 et 20 h, un feuilleton romanesque intitulé Les Atomistes. Il présente les aventures de scientifiques autour d’une activité utilisant la radioactivité à des fins civiles pour la mise au point d’un matériau aux propriétés nouvelles. Coproduit par l’ORTF et par Paris-Cité production, cette fiction sérielle incarne l’étonnante rencontre d’une forme de divertissement aussi marqué que peut l’être le feuilleton en épisodes de 13 minutes précédant le journal télévisé du soir et d’un sujet aussi grave que le nucléaire en pleine Guerre froide. Ce feuilleton marque, en fait, la rencontre d’un projet de télévision inventive et d’une recherche de soutien politique par des gouvernants obligés de s’impliquer dans un secteur à enjeux citoyens. Une recherche sur les conditions de production du feuilleton met au jour des besoins de financement à combler du côté de l’ORTF, notamment autour d’un projet de « télé vérité », et le souci d’organiser des contre-feux du côté des gouvernants au lendemain de la sortie de la France du gouvernement intégré de l’OTAN, à la veille de l’explosion de la première bombe H française, de la mise à la mer du premier sous-marin nucléaire lanceur de missiles atomiques, de la ratification du traité de non-prolifération des armes nucléaires… Un comédien se rappelle que son agent lui avait parlé d’un « film pour de Gaulle ». Le réalisateur se décrit sous la pression des cadres du CEA accompagnant ce projet, dans son adaptation du scénario comme pour placer sa caméra… Mais ce qui pourrait apparaître comme une opération isolée de propagande, à inscrire dans les tentatives d’instrumentaliser la télévision au bénéfice du pouvoir politique, prend du relief quand on la met en perspective avec d’autres manœuvres pour rencontrer un vaste public dans les années 1960 autour du sujet nucléaire. Les tentatives audiovisuelles ne manquent pas : avec des reportages aux actualités, des magazines d’information et de débat. Et Les Atomistes n’est pas le seul feuilleton mobilisé : les populaires Chevaliers du ciel sont aussi requis, avec l’implication du ministère de la Défense là où Les Atomistes a bénéficié de l’appui du ministère de la Recherche et des questions atomiques. Les enjeux citoyens sont de même type : autour du climat de menace militaire appelant consentement à dépense publique et à impôts, autour de la mise en avant de la technologie par-delà le courage des hommes pour exalter le sentiment de fierté nationale. Le sujet nucléaire n’est toutefois pas le seul à mobiliser le soutien des ministères pour des fictions sérielles. Les conditions de production des Atomistes et sa réception sont analysées par comparaison à d’autres feuilletons du début de l’année 1968, à travers des dossiers de production consultés à l’INA, à travers la couverture dans la presse de télévision, y compris la sélection des courriers de lecteurs, à travers les commentaires dans le Rapport sur le courrier de l’ORTF et à travers la mesure de l’audience des programmes. A l’examen, la fiction sérielle se rélève une forme utilisée ponctuellement par d’autres ministères et explorée pour des projets d’ampleur afin de traiter d’enjeux de société avec une audience forte.