Cette communication s'interroge sur les différentes formes de monachisme féminin dans le Midi de la Gaule, de ses origines (au Ve siècle) au début du VIIIe - la limite post quem étant la reconquête carolingienne -, en essayant de voir si l'on peut y observer des traits particuliers qui le distingueraient du reste de la Gaule. L'espace étudié est celui d'un "grand Midi" qui comprend les provinces ecclésiastiques de Bourges, Bordeaux, Eauze, Narbonne, Vienne, Arles, Aix et Embrun. Cet espace méridional constitue, malgré les partages territoriaux, un ensemble culturellement unifié autour de sa romanité, tout en étant étroitement lié, à partir du VIe siècle, aux pouvoirs francs centrés sur la moitié Nord du royaume. 1 / Pour bien cerner le sujet et mieux appréhender les résultats de l'enquête, nous commencerons par faire le point sur les sources afin de voir comment elles se répartissent dans le temps et l'espace. La part la plus importante de la documentation écrite est constituée par les textes hagiographiques, rédigés entre le VIe et le début du VIIIe siècle, complétés pour le VIe siècle par les Histoires de Grégoire de Tours et les œuvres poétiques de Venance Fortunat. A cela s'ajoutent les sources normatives, comme les canons des conciles mérovingiens indispensables pour comprendre la réglementation touchant aux différentes formes de vie consacrée féminine, ainsi que les deux règles monastiques écrites pour des femmes, celles de Césaire d'Arles (entre 512-534) et de son successeur, Aurélien (547). Ce corpus est complété par quelques lettres et testaments, écrits par certains des grands acteurs du monachisme méridional (Césaire, Césarie, Radegonde, Grégoire le Grand). Seront pris en compte également les résultats de fouilles archéologiques récentes (à Sainte-Croix de Poitiers, Saint-Jean d'Arles et Saint-André-le-Haut à Vienne). Ce corpus de sources est très riche dans l'ensemble mais inégalement réparti dans le temps et l'espace. Pour le VIe siècle, deux énormes "spots documentaires" éclairent les deux grands monastères féminins de Saint-Jean d'Arles (fondé par Césaire à partir de 508-512) et de Sainte-Croix de Poitiers (fondé par Radegonde entre 552-557), laissant dans l'ombre les autres monastères mentionnés de manière plus allusive. Au VIIe siècle, les sources se concentrent surtout sur le nord de l'Aquitaine (Bourges, Clermont), tandis que des régions entières échappent totalement à notre connaissance : une grande partie de la province de Bordeaux, celle d'Eauze, de Narbonne et d'Aix. 2 / Pour essayer d'analyser ces résultats très contrastés, nous prendrons le sujet à rebours : plutôt que de nous attaquer d'emblée aux deux monastères les mieux documentés, Saint-Jean d'Arles et Sainte-Croix de Poitiers (comme on le fait d'habitude), nous commencerons par nous intéresser à la forme la plus simple et la plus diffuse, celle d'un "monachisme-maison" vécu à titre privé par les "devotae Deo", sous des statuts divers : vierges consacrées, filles ou veuves vouées à Dieu, diaconesses. Les sources ne sont pas très prolixes à leur sujet, mais on les aperçoit toutefois à l'action dans la peau de riches aristocrates vivant pieusement et utilisant leurs revenus personnels pour faire la charité aux pauvres, construire, entretenir et orner les églises, ou encore donner une part de leur fortune à l'évêque local en échange d'une sépulture de choix. Les conciles semblent par ailleurs s'en méfier, en leur rappelant sans cesse l'interdit de mariage, comme si ce choix de vie consacrée laissait aussi une certaine souplesse aux familles ou aux intéressées. 3 / C'est pour canaliser cet "ascétisme mondain" que sont fondés les "monasteria puellarum". Les premiers naissent dès le Ve s dans le Midi, en même temps que les communautés masculines, d'abord en Provence (Marseille) puis dans la vallée du Rhône (La Balme, Vienne). Au VIe s. ils gagnent une grande partie de la Gaule, sous l'impulsion des évêques, de la royauté et de l'aristocratie. Mais c'est encore les régions méridionales qui comptent les deux monastères féminins les plus prestigieux de ce siècle : celui fondé par Césaire en Arles en 508-512, et quarante ans plus tard celui de Radegonde à Poitiers. La riche documentation qu'ils ont laissée (règle, vitae, lettres…) permet de reconstituer le modèle de vie qu'ils proposent, fondé sur trois piliers : l'enfermement, le renoncement aux biens personnels et la communauté de vie (et de mort), autant de principes radicalement opposés à ceux du monachisme domestique.  A cela, s'ajoute une autre fonction, particulièrement développée à Saint-Jean et à Sainte-Croix : l'étude des textes sacrés qui implique l'enseignement, la lecture, et la copie de manuscrits. Rien ne dit cependant que ce modèle monastique très élitiste ait fait école. Ce qui ressort des autres témoignages contemporains, c'est surtout le caractère familial de ces monastères de femmes qui apparaissent comme des formes plus structurées et plus stables du monachisme privé. Le VIIe siècle marque cependant un tournant : c'est au cœur du royaume que l'on observe une floraison de monastères féminins, stimulée par l'arrivée des moines irlandais et soutenue par la royauté et l'aristocratie. Un essor comparable est perceptible dans les diocèses de Bourges et Clermont, et dans une moindre mesure jusqu'à Albi. Il correspond aux régions et aux élites proches des centres du pouvoir royal, touchées par le courant irlandais. En revanche, difficile de dire, faute de sources, ce qui se passe dans le reste du Midi : on sait a posteriori que les monastères les plus importants se sont maintenus, ainsi que la pratique discrète mais tenace, d'un monachisme domestique. Ne serait-ce pas là le dernier particularisme méridional ?