Italo Svevo fit hommage en 1923 d'un exemplaire dédicacé de son troisième roman, La Coscienza di Zeno, à l'unique psychanlyste de Trieste, le dr. Edoardo Weiss, qui lui promit d'en faire la recension dans une revue spécialisée de Vienne. Toutefois, Weiss, après avoir pris connaissance du livre, fit sèchement savoir à l'auteur que son roman n'avait rien à voir avec la psychanalyse et qu'il ne relevait par conséquent pas de son domaine de compétence. Un jugement aussi péremptoire peut certes surprendre, car le livre révèle indubitablement à un lecteur averti la connaissance que Svevo avait du freudisme. La raison de cette méprise se trouve peut-être au 'seuil' même du roman. En effet, dans le dispositif fictionnel conçu par Svevo, le récit autobiographique de Zeno Cosini est précédé d'une brève préface signée du Dr S. (le psychanalyste du héros éponyme) où celui-ci explique que pour se venger de la décision que son patient a prise d'interrompre la cure sans son accord, il prend le parti de publier les mémoires qu'il lui a prescrit d'écrire dans le cadre du traitement. Il y a là deux invraisemblances patentes qui ont pu heurter Weiss, la première de nature doctrinale et méthodologique : aucun analyste freudien ne conseillerait à son patient d'écrire ses mémoires à des fins thérapeutiques (le dr. S admet d'ailleurs que cette méthode est insolite), l'autre de nature déontologique : jamais un psychanalyste ne violerait de manière aussi scandaleuse le secret de la confidence ; mais le romancier, plus encore qu'à un lecteur familier de la doctrine freudienne, ne s'adresserait-il pas à un lecteur doué du sens de l'humour ?