L'avènement d'un monde globalisé et le processus d'intégration européenne ont ravivé l'intérêt pour les débats sur les frontières et sur les dynamiques transfrontalières. Ces débats restent cependant très fortement imprégnés par des conceptions institutionnelles et juridiques de la frontière. Or l'observation des dynamiques sociales, qui accompagnent en Europe l'effacement progressif des effets des frontières sur la circulation des personnes et des biens, montre que les réalités frontalières durent bien au delà de la disparition de leurs principales bases institutionnelles. Dans ce contexte, il est essentiel de s'interroger sur la permanence d'un certain nombre de représentations collectives, explicites ou implicites, qui façonnent les comportements au delà des déterminations strictement logico-rationnelles. Dans cette perspective, il y a lieu d'explorer « l'institution imaginaire » de la frontière, dans le sens que Cornelius Castoriadis a donné à cette expression dans "L'institution imaginaire de la société" (1975). Cette exploration des figures, images et mots de la frontière s'inscrit parfaitement dans une analyse de la frontière comme « formation discursive », paradigme développé par Michel Foucault dans "Archéologie du savoir" (1969). Étant donnée son histoire extrêmement mouvementée, la frontière franco-allemande de 1870 à nos jours constitue un terrain d'étude privilégié.