Des systèmes de surveillance dans la ville : une analyse organologique de leur fragilité et de leur nécessaire dépassement. Claude PARAPONARIS Communication présentée dans l'axe III. Territoires « intelligents » : entre dispositifs de contrôle et appropriations créatives. Cette communication se propose d'examiner les modes de fonctionnement des algorithmes de surveillance participative de grandes villes (Marseille, Nice, Singapour, Toronto) en termes organologiques (Simondon, Stiegler) afin d'identifier leurs performances et leurs fragilités. Un focus est opéré sur le cas de l'Observatoire de la tranquillité publique de la ville de Marseille. Ce « big data marseillais » a pour but de prévenir les risques de troubles à l'ordre public en traitant une multitude de données : tendances des réseaux sociaux, caméras de vidéosurveillance, données police et pompiers, informations remontantes de tous individus informés. Un tel projet de méga-contrôle n'est pas le premier. Les systèmes installés par Sidewalk Labs (Alphabet-Google) témoignent de la même orientation vers une ville automatique parée des meilleures vertus (consommation et sécurité) pour des performances d'instantanéité et de modularité. L'étude de ces systèmes techniques est réalisée en termes organologiques, c'est-à-dire au moyen d'une analyse conjointe de l'histoire et du devenir des organes physiologiques, des organes artificiels (technique) et des organisations sociales. Penser en termes organologiques consiste à se tenir à distance du systématisme (Cabguilhem). Et c'est en maintenant cette distance, que nous pouvons développer aujourd'hui un imaginaire du prendre soin dans la cité, pour demain, être en capacité d'initier un système organologique de ville socialement intelligente. Nous posons que la critique de l'automatisme urbain est indissociable de celle du marketing car les propositions urbaines de Google et consorts ne deviennent crédibles qu'en raison de leur pendant économique et social : une certaine forme de demande, celle du client-roi. Ce consommateur-roi est l'acteur de la nouvelle économie psychique analysée par Melman (2009) en tant que mutation à la fois de la subjectivité et de l'existence collective, dont le moteur n'est plus le désir mais la jouissance avec un rejet du "réel" au profit du "virtuel", et une banalisation de la violence. En posant les termes de cette analyse, la communication entend rendre compte de la fragilité d'un système technique. Plus un système est fermé, plus il est condamné à se bloquer et disparaître ; en tant que tel, nous savons décrire ses conditions de fonctionnement ou plus précisément ses conditions d'usage au travers du concept d'indétermination hérité de Simondon. Nous identifions ainsi un imaginaire de ville automatique que nous mettons en regard d'un autre imaginaire inspiré de la définition de l'autonomie par Castoriadis : « Je désire, et je demande, que tout d'abord mon travail ait un sens, que je puisse approuver ce qu'il sert et la manière dont il est fait, qu'il me permette de m'y dépenser vraiment et de faire usage de mes facultés autant que de m'enrichir et de me développer … Je désire pouvoir, avec tous les autres, savoir ce qui se passe dans la société, contrôler l'étendue et la qualité de l'information qui m'est donnée … Je n'accepte pas que mon sort soit décidé, jour après jour, par des gens dont les projets me sont hostiles ou simplement inconnus, et pour qui nous ne sommes, moi et tous les autres, que des chiffres dans un plan ou des pions sur un échiquier et qu'à la limite, ma vie et ma mort soient entre les mains de gens dont je sais qu'ils sont nécessairement aveugles" (Castoriadis, 1975, p. 137).