Dans la plupart des analyses portant sur l’État-providence en France, les entreprises d’intérêt général, institutionnalisées sous le concept d’« économie sociale et solidaire » depuis la loi de 2014, sont absentes. Ces entreprises d’intérêt général regroupent des associations, des mutuelles, des coopératives, des fondations et des entreprises sociales qui, pour une grande partie d’entre elles, interviennent directement dans le champ large du social et de la solidarité. Elles privilégient la finalité sociale du service sur le profit et s’efforcent de développer la participation des usagers à la production de services, faisant de cette participation un outil d’émancipation. Les initiatives de ces organisations ne sont pas nouvelles : dès le XIXe siècle, elles ont contribué à apporter des réponses originales à la question sociale, le plus souvent en l’absence d’intervention publique. Certaines de ces réponses ont été institutionnalisées par la suite, parfois réappropriées directement au cœur de l’action publique, parfois simplement reconnues de façon supplétive . Ces entreprises d’intérêt général ont été parties prenantes à divers titres de l’émergence de l’État-providence et de son développement dans le second XXe siècle sans pour autant que leur place ne soit reconnue ni dans leur fonction régulatrice ni dans leur fonction transformatrice. Entre l’État et le marché, difficile pour ces entreprises de trouver leur reconnaissance. Avec la crise de l’État-providence dès les années quatre-vingt et la remise en question progressive des modes d’intervention sociale propres à l’après-seconde guerre mondiale, on observe l’accélération du développement d’entreprises d’intérêt général qui participent au renouveau des politiques sociales. Elles œuvrent comme partenaires de l’action publique, en complémentarité ou en relais, parfois initiatrices des politiques sociales ensuite instituées, parfois agissant pour le compte des pouvoirs publics et parfois aussi en marge, au sein d’un mouvement social porteur d’une expression revendicative. Dès les années quatre-vingt-dix, à l’initiative de ces entreprises d’intérêt général, de nouveaux champs d’intervention se sont développés dans des secteurs aussi diversifiés que ceux de la petite enfance, du commerce équitable ou de l’insertion. De nouvelles formes d’organisation au sein de ces entreprises d’intérêt général, sont venues élargir les parties prenantes associées, dépassant les seuls usagers (au sein des associations) ou salariés (au sein des Scop) au profit d’un ensemble plus large de parties prenantes généralement inscrites dans des territoires de proximité. Dans le tournant des années 2010, on a vu l’émergence d’une nouvelle catégorie d’entrepreneurs, des entrepreneurs sociaux, regroupées au sein du Mouvement des entrepreneurs sociaux, devenu récemment Mouvement Impact France. Ils affichent leur ambition de répondre à des besoins sociaux peu ou mal satisfaits à travers des entreprises sociales, dont le statut juridique importe peu. On a aussi assisté au renouveau de la philanthropie, naguère plutôt caractéristique des pays anglo-saxons avec le développement conjoint des fondations et l’engagement d’entreprises lucratives dans des stratégies volontaristes de responsabilité sociétale (RSE). Il en résulte des tensions entre une solidarité démocratique et une solidarité philanthropique . L’intervention publique entretient donc des relations particulières avec les entreprises d’intérêt général dans la mise en œuvre des politiques sociales, relations qui se sont transformées dans le temps. Nous souhaitons caractériser ces transformations dans la contribution des entreprises d’intérêt général à l’État-providence et à travers elles caractériser les renouvellements de son mode de gouvernance. Dans un premier temps, à travers une revue de littérature portant sur les régimes d’État-providence et sur le Welfare mix d’un côté et sur le développement des services sociaux collectifs de l’autre, nous caractérisons le mode d’intégration de l’économie sociale dans l’État-providence. Puis, dans un second temps, nous mettons en évidence que le processus d’institutionnalisation fragmentée qui caractérise les initiatives d’économie sociale en lien avec l’action publique en France rend compte d’un mouvement en tension de « quasi-marchandisation » et de « solidarisation » qui contribue au développement d’une poly-gouvernance de l’État-providence.