Pour rendre hommage à Suzanne Carval, ces quelques lignes se proposent de souligner un aspect de l’évolution de la responsabilité civile : l’avènement du corps humain. En d’autres termes, il s’agit de montrer que l’un des plus importants facteurs — si ce n’est le plus important — de la construction et de l’évolution de la responsabilité civile est l’apparition de l’idée selon laquelle l’atteinte à l’intégrité corporelle ne peut que difficilement être laissée sans réparation pour des considérations de stricte technique juridique. Les transformations affectant la responsabilité civile n’ont donc pas tant pour origine le progrès technologique ou la mutation des risques que l’évolution des constructions sociales et psycho-sociales : le droit a évolué « par le souci jurisprudentiel, puis législatif, de permettre une indemnisation plus large des victimes d’atteintes corporelles » . En particulier, l’appétence pour l’indemnisation des victimes, et particulièrement de celles touchées par leur chair, a engendré ce qui a justement été qualifié de « crise de croissance » de la responsabilité civile .