La modalité dans l'inventaire du Chant de Sanaa : Un paramètre empirique pour la description
Résumé
L’inventaire du Chant de Sanaa, que j’ai entrepris de manière systématique depuis de longues années, me permet de faire un premier tableau des formes modales dans ce répertoire traditionnel citadin du Yémen. Cet inventaire s’appuie de manière empirique sur un modèle de mélodie-type défini à la fois par un ou plusieurs poèmes sur lequel celle-ci est chantée, ainsi qu’une forme rythmique et une forme modale. Si l’on suit le postulat de Harold Powers, les formes modales sont avant tout des manières de classer les mélodies. Pourtant, dans la chant de Sanaa, c’est surtout le cas des formes rythmiques, puisque la tradition les reconnaît et les nomme explicitement. En revanche, en l’absence de théorie modale explicite (à la différence de beaucoup d’autres traditions du monde arabe), l’approche de la modalité nécessite la mise au point d’une méthode empirique qui recourt à plusieurs critères dont certains sont indirects. Il s’agit d’abord des cordes du luth yéménite, qui ont des noms propres dans la tradition (mais pas les doigtés). Concernant la hauteur des degrés et l’amplitude des intervalles, on remarque que dans une échelle au cadre majoritairement heptatonique, les notes Mi et Si sont affectées d’un demi-bémol définissant chacune deux secondes neutres presque égales, ce qui les situe clairement dans l’environnement modal « zalzalien » de la Péninsule Arabique. Dans ce cadre scalaire, les différentes formes modales se caractérisent clairement par un petit nombre de notes pouvant leur servir de tonique, principalement, dans l’ordre d’importance : Sol 2 (deuxième corde à vide), La 2 (deuxième corde pincée par l’index), Si 2 (deuxième corde pincée par l’annulaire), Do 2 (première corde à vide), Ré 2 (première corde pincée par l’index), et quelques autres moins importantes. En s’appuyant sur ces observations, on peut définir un petit nombre de modes-types, pour lesquels la nomenclature proche-orientale (Rast, Bayâtî, Sîkah, etc…) peut servir de référence, mais en prenant soin de ne pas les y réduire. Ces éléments empiriques doivent être croisés avec les autres dimensions. La structure interne des mélodies doit encore être approfondie (notamment la forme muwashshah en trois parties) : on remarque notamment une polarité de la tonique qui n’est pas toujours claire (entre autre par un balancement de type authente/plagal), et peut-être à explorer à travers certains décalages entre la voix et l’instrument. On doit aussi souligner l’importance de la contrafacture ou centonisation qui permettent une interchangeabilité des mélodies et des textes poétiques, ce qui implique qu’une mélodie-type peut être définie entre autres par l’ensemble des textes poétiques sur laquelle elle est chantée. Ceci pose bien entendu la question de l’innovation : dans quelle mesure celle-ci est soumise à la métrique poétique, et dans quelle mesure elle s’en libère ? Enfin, la centonisation nous fournit des clés sur la composition : cette dernière s’effectuant souvent par transformation d’une mélodie-type en une autre par une légère modification du rythme (les cycles rythmiques étant appariés entre eux, comme je l’ai montré dans des travaux précédents), la modalité peut souvent être définie comme l’élément qui reste stable quand le rythme change.
Origine :
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