Historiquement, l’enseignement professionnel français a été créé dans un premier temps pour former les corps intermédiaires de l’industrie (Brucy, 1998). C’est au tournant du XXe siècle que les besoins en main d’œuvre qualifiée deviennent de plus en plus pressants sous les effets de l’évolution technologique dans les industries. Progressivement la formation ouvrière se détache de l’usine pour intégrer des établissements scolaires dotés d’ateliers qui reproduisent l’univers industriel (Bodé, 2017). Cette « scolarisation des apprentissages » (Prost, 2008) professionnels a eu pour effet de confier aux enseignants et à leurs institutions (Lycée professionnel et Centre de formation d’apprenti), le rôle de transmission des savoir-faire de prudence (Cru, 2015) aux futurs ouvriers (lycéens et apprentis). Mais depuis les années 1980 et le retour de l’entreprise formatrice dans le système scolaire français, les futurs ouvriers doivent composer avec une socialisation aux savoir-faire de prudence parfois variable et ambivalente entre l’école et l’entreprise. Cette recherche menée en Nouvelle-Aquitaine (France), vise à en appréhender les effets de cette relation école/entreprise sur la population des lycéens professionnels et apprentis du secteur du travail des métaux. Si les progrès en termes de santé et sécurité au travail ont très favorablement évolué tout au long du XXe siècle, les risques professionnels sont toujours très élevés au sein de cette population ouvrière. En effet, comme en attestent les chiffres publiés par l’Insee en 2018, un ouvrier français à sept fois plus de chance d’avoir un accident du travail qu’un cadre. À cela, se cumulent des inégalités de générations qui sont défavorables aux jeunes, mais aussi des inégalités de statuts où les apprentis et les stagiaires sont plus exposés (Frigul, 2015). Ce contexte scolaire de santé au travail, nous amène à questionner la socialisation des lycéens et apprentis à la santé et sécurité au travail. La présente contribution s'intéresse plus particulièrement aux futurs chaudronniers. Afin d'étudier cette population, nous avons réalisé un travail d'immersion dans les ateliers de lycées professionnels et de centres de formation d'apprentis (CFA). Plus de 300 heures d’observations ont ainsi eu lieu entre les classes et les ateliers afin d’appréhender la transmission des savoirs de prudence et plus largement leur socialisation professionnelle. Nous avons parallèlement à ces observations directes questionné les lycéens et apprentis à travers un questionnaire diffusé auprès de 279 personnes. Il s’agissait avec celui-ci de percevoir le rapport des lycéens et apprentis aux conditions de travail ainsi que leurs rapports à la santé et sécurité. Les premiers résultats qui émergent du terrain indiquent une grande exposition de cette population aux accidents du travail puisqu’ils sont 96 sur 270 à déclarer avoir eu au moins un accident durant leur formation. La durée des interruptions du travail est elle aussi importante puisque parmi ceux ayant répondu à la durée d’interruption (n=61), 35 déclarent avoir eu des interruptions de plus de 7 jours dont 7 de plus de 28 jours. Si les risques professionnels sont accrus pour cette population du fait d’une activité professionnelle « manuelle », l’injonction paradoxale entre productivité et sécurité à laquelle elle est confrontée en formation entraine des pratiques déviantes comme se protéger des rayons lumineux du soudage avec la main. Or, là où ces pratiques devraient être corrigées par les enseignants et formateurs tout au long de la formation, la pensée individualiste de la santé et sécurité chez ces anciens professionnels, pointe la responsabilité des lycéens et apprentis en cas de non-respect des règles de sécurité ou encore d’accident. À cela s’ajoute, une responsabilité parfois mal définie entre l’institution scolaire et l’entreprise dans la fourniture des équipements individuels de protection qui expose les apprenants aux risques professionnels.