Le secteur de l’aide à la personne, historiquement rattaché au secteur médico-social mais ouvert depuis 2005 à un processus de marchandisation mettant en concurrence les structures (Hély, 2009), rencontre une pénurie de main d’œuvre accentuée depuis la crise de la covid-19. Les conditions de travail et d’emploi, la diversité des statuts, la forte féminisation du secteur et son faible recours à l’action collective… participent à une forte sinistralité (Devetter & Messaoudi, 2013 ; Avril, 2014) ainsi qu’à une désertion des candidat.es vers ces métiers. En concertation avec les pouvoirs publics ou indépendamment de ces derniers, le secteur cherche à résoudre la problématique « d’attractivité » par différents moyens : campagnes publicitaires, instauration d’une journée nationale des aides à domicile, revalorisation d’une partie des salaires pour les salarié.es relevant du secteur associatif, etc. Parallèlement, certains acteurs avancent un autre type de réponse à travers la réforme des organisations et du management en s’appuyant sur des approches dites « innovantes » : c’est notamment le cas de la méthode « Buurtzorg », portée en France par un collectif d’entrepreneurs.euses sociaux et de coachs : le collectif l’Humain d’Abord. La « modernisation » du secteur est également appelée des vœux des pouvoirs publics dans le cadre de la nouvelle gestion publique entamée depuis les années 1990 (Bezes, 2009) et de la chalandisation du secteur (Chauvière, 2007). Ces « innovations » managériales rencontrent par ailleurs une attention soutenue de la part de ces derniers (rapport El Khomri, 2019 ; rapport Libault, 2019 ; soutien financier par certains Conseils Départementaux, intérêt de la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie…). Dans ce contexte, la Région Nouvelle Aquitaine a déployé en 2019 un programme expérimental de formation ayant pour but de « favoriser la mise en place de nouveaux modes de management dans le secteur des services à la personne en vue de renforcer la soutenabilité du secteur au travers de plus de qualité de travail, qualité de service et efficacité économique ». Plusieurs parcours de formation, allant du lean management aux entreprises libérées ont été proposés aux structures relevant de statuts, tailles et territoires différents, mais principalement associatives ou publiques. Cette communication porte sur les modalités de circulations de ces dispositifs managériaux au niveau de l’encadrement intermédiaire. Si le rôle des dirigeant.es et les effets sur les pratiques des aides à domicile font l’objet d’une attention particulière dans le cadre de la thèse, il semble que la place particulière des encadrant.es intermédiaires (ici entendus comme les cadres de proximité réalisant les plannings et la mise en place des interventions chez les personnes dépendantes) soit moins abordée dans la littérature sociologique. Il s’agit d’abord de montrer que ces artisans-cadres (Heichette, 2021) sont d’abord « objet » de ces transformations : rarement détenteurs de diplômes en lien avec le management et davantage proches du statut d’employés que de cadres, ils doivent accompagner les équipes et s’assurer de la bonne réalisation du service rendu tout en assumant des fonctions de gestion telles que le suivi des démarches qualité, de ressources humaines… Les formations proposées par le programme se proposent de les outiller en termes de techniques de management, notamment pour leur permettre de mieux gérer la triple contrainte (Bonnet & Drais, 2021) et l’identité clivée (Jacquot, 2011) à laquelle ils sont soumis, ainsi que les exigences de gestion relationnelle de la main d’œuvre (Schutz, 2012). La communication montre dans un second temps le rôle de l’encadrement intermédiaire comme « agent » de la transformation de l’organisation : formateurs et dirigeant.es attendent d’eux d’incarner un rôle de diffuseurs et de relais de la démarche (Cheronnet & Gadea, 2009), en traduisant (Callon, 1986) au plus près des aides à domicile le bien-fondé de la démarche. L’encadrement est aussi chargé d’organiser, en plus de son travail quotidien, la participation des intervenant.es à différents ateliers et groupes de travail émergents dans le cadre de ces « transformations ». Enfin, il s’agit de revenir sur l’encadrement intermédiaire comme « produit » de ces transformations, à travers la réforme de leur rôle, censé devenir davantage un « manager-facilitateur » voire un « coach » des aides à domiciles, tout en leur demandant de gommer au maximum les frontières hiérarchiques. Dans le cadre des formations s’inspirant des entreprises libérées, l’encadrement peut d’ailleurs être amené à concourir à sa propre perte dans le cadre d’une délégation d’une partie de ses missions aux aides à domicile (planification notamment). Il constitue alors une variable d’ajustement financière, comme cela a pu être observé dans le cadre de nombreux départs non remplacés basés sur la justification d’un « aplatissement » de l’organigramme.