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Article dans une revue Captures : Figures, théories et pratiques de l'imaginaire Année : 2023

L'album-concept metal pour donner forme au chaos ?

Résumé

La musique metal fait l’objet d’une attention croissante de la part des études universitaires, notamment en raison des fécondes contradictions qui l’animent : musique extrême, musique du chaos, elle est pourtant aussi imprégnée de culture littéraire et « savante » et se refuse à intégrer totalement le champ des musiques « populaires ». Nous nous proposons d’interroger la tension entre dérèglement musical et mise en forme littéraire à l’œuvre dans ce genre au travers d’une quasi figure imposée de la discographie de tout groupe de metal, l’album-concept.Un bref rappel des traits définitoires du genre permettra de montrer comment le format spécifique de l’album-concept permet justement aux musiciens de metal de s’en émanciper. En partant de la définition, qui semble pointer dans deux directions opposées, de l’album-concept par Aurélien Bécue, « des albums filant une métaphore, un thème ou un style […] cherchant à donner une forme récitative au disque, à se rapprocher de la linéarité narrative avec d’autres moyens que la littérature », nous montrerons qu’il y a dans le metal des albums-concepts aux fonctionnements bien distincts, dont nous proposerons une typologie : anthologie, geste, épopée.Au fil de l’examen des trois types d’albums-concept metal que nous distinguons, nous n’aurons de cesse de nous demander si ceux-ci ont pour vocation de dérégler, par le truchement intermédial, ce qui avait forme et légitimité, ou au contraire, de donner forme au chaos d’une musique extrême. « Le désordre est essentiel à la ‘‘création”, en tant que celle-ci se définit par un certain ‘‘ordre ” », écrit Paul Valéry à propos de la poésie. En effet, l’album-concept, quelle que soit sa forme, est avant tout une contrainte quasi oulipienne que s’impose l’artiste metal et qui le (la) pousse à se dépasser.L’album-concept anthologieCe type d’album-concept prenant en charge la mise en valeur d’une « bibliothèque intérieure » de l’artiste peut être séparé à son tour en deux catégories : d’une part, les albums centrés sur une œuvre littéraire ou sur plusieurs œuvres d’un même auteur , qui doivent être mis en relation les uns avec les autres au sein de la discographie d’un groupe pour reconstituer sa bibliothèque intérieure. D’autre part, nous évoquerons les albums contenant en leur sein même un florilège, où chaque morceau est dédié à un hypotexte différent – parfois en alternance avec des références cinématographiques . Dans les deux cas, il semble pertinent de s’intéresser, entre autres, à la place du texte-source au sein de l’œuvre metal, à la « déterritorialisation » qu’il subit et au dialogue entre le verbal et le musical que propose l’album-concept. S’agit-il d’introduire du dérèglement au sein de la forme littéraire préexistante ? De mettre en musique une expérience de lecture cathartique ? Nous explorerons ces pistes au travers d’une analyse plus détaillée de l’album Every Trick in the Book du groupe de metalcore Ice-Nine Kills.L’album-concept gesteNous dirons quelques mots sur les mécanismes de ce deuxième type d’albums-concept construits autour d’une unité thématique généralement plus historique que littéraire, contant les « hauts faits » de personnages choisis pour leur réel héroïsme ou, au contraire, pour leurs actes de barbarie, avérés ou non, objets de fascination gothique. Dans ce second cas, nous parlerons d’une exploration du dérèglement que constituent la folie meurtrière et la cruauté humaine. Ce type d’album à structure narrative, où le paratexte, voire l’objet-disque, s’avèrent déterminants, instaure un brouillage intéressant entre passé et présent, mais aussi au sein de l’échelle des valeurs, que des sous-genres comme le black metal entendent généralement inverser – s’opposant en cela à l’ethos d’autres sous-genres, comme le power metal.L’album-concept épopéeEnfin, il nous faut faire la part belle aux albums-concept qui sont de pures créations narratives, où un nouveau récit est inventé, souvent aussi à caractère épique – un registre qui entretient une véritable « équivalence d’atmosphère esthétique » avec le metal. Le questionnement porte alors sur les possibilités créatives – à rapprocher de celles qui sont en jeu à l’opéra – qu’apportent les moyens combinés du verbal et du musical, mais aussi du vocal et de l’instrumental, et même, d’autres types de sons et des arts visuels : nous songeons à la bande-son quasi cinématographique et aux graphismes créés par Lord Shades pour sa trilogie éponyme . C’est l’œuvre protéiforme de ce groupe de black-death metal mélodique français qui fera l’objet de notre analyse, au travers de son paratexte emprunté à la musique « savante » et à la littérature, de références intermédiales variées, d’un brouillage des genres musicaux et d’une polyphonie éminemment romanesque.En matière d’émancipation des règles et des catégories artistiques, génériques et spatio-temporelles, il y a donc bien dérèglement dans l’acte de création de l’album-concept de metal. Nous nous efforcerons de tirer les enseignements de cette expérimentation d’un entre-deux apparemment paradoxal qui donne forme à la violence et à la noirceur par une expérience musicale extrême, tout en faisant appel à une maîtrise technique poussée et à un projet artistique contraint et construit.
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Dates et versions

halshs-04180145, version 1 (11-08-2023)

Licence

Paternité - Pas de modifications - CC BY 4.0

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  • HAL Id : halshs-04180145 , version 1

Citer

Camille Migeon-Lambert, Nathalie Vincent-Arnaud. L'album-concept metal pour donner forme au chaos ? : Anthologie, geste, épopée. Captures : Figures, théories et pratiques de l'imaginaire, 2023, 8 (1). ⟨halshs-04180145⟩
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Dernière date de mise à jour le 28/04/2024
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