Éloges des savants morts à l'Académie : l'ère Fontenelle - HAL Accéder directement au contenu
N°spécial de revue/special issue Revue Fontenelle Année : 2023

Éloges des savants morts à l'Académie : l'ère Fontenelle

François Pépin
  • Fonction : Directeur scientifique

Résumé

Les Éloges des savants à leur mort constituent l’une des nouveautés les plus remarquables des volumes de l’Histoire de l’Académie royale des sciences, dont la publication commence avec le renouvellement de l’Académie en 1699. On trouvera ici ce qui concerne ce qu’on peut nommer l’ère Fontenelle. En effet, c’est quasiment avec Fontenelle que commence l’histoire académique, une histoire non dénuée de tensions internes et rythmée par des périodes distinctes. La période Fontenelle court tout de même, longévité oblige, de 1702, date de parution du premier volume de l’Histoire de l’Académie royale des Sciences, à 1740. Les Académies — on s’attachera ici uniquement à l’Académie des sciences — décrivent un milieu foisonnant et divers. Il a pour caractéristiques de s’incarner dans un discours officiel qui n’est pas soumis à la censure mais qui doit régler finement son rapport au pouvoir royal, dans la parole collective d’un corps institué mais où la part du secrétaire perpétuel est structurante, enfin dans un texte qui est publié et qui même à l’occasion est oral et lu devant un public mondain, dans le cas de l’éloge. Un important colloque, intitulé « Pensées secrètes des Académiciens. Fontenelle et ses confrères » et publié dans La Lettre clandestine, a largement montré non seulement combien le milieu académique parisien, composé de savants observateurs, rapporteurs scientifiques et censeurs royaux, est traversé par toutes les tendances de la pensée de l’époque jusqu’à la pensée clandestine, mais aussi combien, dans ce milieu, tout converge vers Fontenelle. Dans ce cadre, l’éloge occupe en outre une place spécifique. Premier secrétaire perpétuel de l’Académie royale des sciences, Fontenelle fut à ce titre l’artisan de la réinvention de l’éloge. Il renouvela le genre, modifia son objet, ses modalités d’écriture. C’est un premier point : avec Fontenelle, l’éloge devient le lieu d’une articulation entre des résultats scientifiques, l’histoire des querelles scientifiques et philosophiques et des biographies intellectuelles, et ce dans le cadre plus large de l’invention de l’histoire des sciences. C’est de cette façon que les infiniment petits sont présents dans les éloges, au carrefour de l’institutionnalisation d’une nouveauté scientifique, d’une réflexion ontologique, et de parcours individuels et collectifs de savants, comme on le verra dans l’article de Sandra Bella qui ouvre cette section. Apparaît immédiatement et d’une façon frappante, jusque dans les questions d’histoire des sciences, la dimension politique inédite de l’éloge des savants membres de l’Académie. Fontenelle, le premier à endosser la charge de la rédaction des volumes annuels, inaugure une pratique théorique de l’éloge qui justifie l’institution royale par ses membres et leurs travaux, et réciproquement. Il n’est pas jusqu’à l’éloge de Pierre Ier dont on ne puisse dire, comme le montre Christiane Demeulenaere-Douyère dans « Fontenelle et l’éloge de Pierre Ier de Russie : construction de la figure du prince-savant et plaidoyer pro domo », qu’il ne travaille aux intérêts de l’Académie, en fonction des circonstances politiques. En resserrant l’examen dans ce cadre qui est celui d’une politique des sciences naissante, appelée des vœux du secrétaire perpétuel, qui affirme la vocation sociale et politique des sciences, il faut tenir compte de ce que les éloges empruntent la voie narrative, ce qui soulève des questions spécifiques. On peut s’interroger sur la garantie donnée par Fontenelle de la vérité des éloges et même de leur justice, laquelle consiste à reconnaître à qui ou à quoi on peut savoir gré des progrès portés par ces individus que sont les savants. Ici le régime narratif n’est pas un simple véhicule, mais il offre des ressources pour une philosophie de la subjectivation et de la formation d’un ethos de liberté, acquis ou conquis par un passage par l’institution collective qu’est l’Académie, comme cherche à le montrer l’article de Sophie Audidière « ‘Des Vies, telles qu’on les aurait écrites, en rendant simplement justice’ : l’histoire des Académiciens morts dans les Éloges de Fontenelle, entre académisme et Lumières ». En maître des fictions, Fontenelle propose des récits qui doivent modifier le regard que pose sur les savants une société qui valorise l’héroïsme de l’épée, les privilèges de la naissance, et est férue d’un faux merveilleux. L’article de Claudine Poulouin, « Fiction et vérité dans les Éloges de Fontenelle », analyse le travail fontenellien dans des récits qui discréditent les anciennes gloires au profit du merveilleux moderne de la science, gros des promesses et de l’espoir d’un nouvel ordre du monde. La dernière catégorie qu’il faut mobiliser pour caractériser l’ère Fontenelle, avec celles qui nous permettent de décrire un projet de politique des sciences qui se dit dans des récits biographiques, est celle de l’histoire. Comme le montre Mitia Rioux-Beaulne dans « Les registres de l’histoire et leurs usages : des parcours singuliers de savants à la trajectoire de l’esprit humain », la politique permet en effet une rencontre entre l’histoire collective et les circonstances, entre l’histoire générale des sciences et les vies des savants, notamment à travers la question de la transmission et de la publicité. On espère ainsi avoir caractérisé dans ses grandes lignes la pratique de Fontenelle, dont ses contemporains et successeurs ont, dès sa mort, cherché à saisir les traits et la modernité, et par rapport à laquelle ils ont voulu se situer, comme on le verra avec l’article de Susana Seguin consacré aux éloges prononcés à la mort de Fontenelle, dans « Fontenelle dans ses éloges ». Fontenelle incarnait l’Académie comme corps, et sa disparition clôt sans doute une époque.
Loading...
Fichier non déposé

Dates et versions

halshs-04191875, version 1 (30-08-2023)

Identifiants

  • HAL Id : halshs-04191875 , version 1

Citer

Sophie Audidière, François Pépin. Éloges des savants morts à l'Académie : l'ère Fontenelle. Revue Fontenelle, 14, 2023. ⟨halshs-04191875⟩
15 Consultations
0 Téléchargements
Dernière date de mise à jour le 07/04/2024
comment ces indicateurs sont-ils produits

Partager

Gmail Facebook Twitter LinkedIn Plus