Généalogie d'un déni : la post-vérité
Résumé
Le succès de la post-vérité semble témoigner des dérives de notre société
post-moderne, caractérisée par la montée du relativisme et d’un individualisme
exacerbé. Ainsi le temps de l’exigence de discrimination entre le vrai et le faux
serait révolu. Le fait que ce néologisme ait été présenté comme le mot de l’an-
née 2016 dans l’Oxford English Dictionary serait l’indice d’un phénomène très
contemporain dont l’expansion aurait été favorisée par le développement des
réseaux sociaux. Pourtant, le déni de la vérité renvoie à une attitude archaïque
à laquelle nous avons donné le nom de « complexe de Jocaste ». La philosophie
elle-même s’est fait l’écho des démêlés chroniques entre le souci de la vérité
et sa remise en question. Le triomphe actuel du dogme anti-aléthique ne serait
donc que la rémanence d’une tenace propension humaine à se dispenser de l’ef-
fort nécessaire pour « dire-vrai » : une constante de l’humanité toujours prête
à regagner du terrain, dès que le rationalisme tend à baisser la garde. Plutôt que
de chercher les origines historiques de ce dogme, il s’agit d’en établir la généa-
logie, c’est-à-dire saisir la source, la provenance, les ressorts cachés de cette
attitude récurrente qui déploie son énergie à refuser la vérité, avec tout ce qu’elle
implique comme conséquences dans le domaine de la connaissance comme
dans celui du droit. Ce ne serait donc pas derrière la recherche de la vérité qu’il
faudrait soupçonner l’expression d’une volonté de puissance, mais c’est bien
plutôt la démonétisation de la vérité qui demanderait à être expliquée en termes
de pouvoir, comme une déclinaison cynique de la raison du plus fort. Mais ana-
lyser les racines de la post-vérité suppose aussi de reconnaître la vulnérabilité
de la vérité humaine qui sert souvent de prétexte à cet avatar de l’obscurantisme
Loading...