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Communication dans un congrès Année : 2023

La démotorisation des seniors : un virage difficile à négocier dans l’histoire de vie.

Résumé

La génération des baby-boomers née après-guerre est désormais confrontée aux difficultés liées à la fin de vie et notamment à la délicate question de la démotorisation. Cette génération reste numériquement importante, tant grâce aux progrès de la médecine, qu’à l’amélioration des conditions de vie et de travail, dont elle a très largement bénéficié. Un Français sur quatre a aujourd’hui plus de 60 ans. Ils seront un tiers en 2060 (Dreyfus, 2019). Parmi les nombreux outils technologiques que les baby-boomers ont vu se démocratiser au cours du XXème siècle, l’automobile est l’un de ceux qu’il convient de mentionner tant il est emblématique de cette génération, de ses pratiques plus individualisées comme de ses « aspirations à la liberté et à la mobilité sans entrave » (Espinasse, 2005). Dans cette génération, l’automobile s’est démocratisée tant chez les messieurs que chez les dames. Et l’hypothèse qui fonde notre recherche était que cette première génération à avoir connu et massivement utilisé la voiture tout au long de sa vie pourrait traverser des difficultés plus grandes pour s’en affranchir, au point peut-être d’aggraver encore les tendances connues à retarder la démotorisation en fin de vie. Pour le compte de la Métropole Européenne de Lille, nous réalisons actuellement une enquête longitudinale sur la mobilité des seniors sur une période de 5 ans. Dans l’objectif de mieux comprendre et analyser l’évolution des pratiques de mobilité de la génération du baby-boom, cette enquête a débuté à l’hiver 2020 et comporte deux volets : une enquête quantitative par quota auprès d'un échantillon de 1000 seniors (65 ans et plus)1; une enquête qualitative socio-anthropologique et compréhensive par entretiens semi-directifs annuellement répétés (en face-à-face puis par téléphone pour cause de COVID) auprès d’un panel diversifié de 27 ménages de plus de 65 ans. Lors de la première vague d’enquête (2020) nous avons questionné leurs différentes pratiques de déplacement tout au long de leur vie. Cette histoire de vie thématique a été entreprise à l’aide de fiches AGEVEN. La seconde vague d’enquête (2021) a opportunément interrogé les évolutions de pratiques de mobilité liées à la pandémie de COVID-19. La troisième vague (2022) a cherché à évaluer chez les personnes âgées leurs connaissances en matière d’offres (offres de transport et offres de mobilité résidentielle). Le point aveugle de la recherche tient au tabou de la dépendance liée à l’âge. Pour les personnes âgées, la dépendance est d’autant plus difficile à penser, et par conséquent à exprimer, qu’elle vient en contradiction avec ce qui fait le cœur du système de valeur de la génération du baby-boom : l’indépendance. Ce tabou rend particulièrement délicat d’aborder frontalement la question de l’arrêt de la conduite automobile avec les personnes âgées qui conduisent encore. Les travaux fondateurs de E. Goodwin (1985) ont pointé l’importance des ruptures biographiques dans un système de routines. « Souvent, les moments de transitions dans le cycle de vie sont l’occasion de modifier les habitudes ». À la suite de Goodwin, plusieurs auteurs ont qualifié de tournant biographique (ou key-event), les bouleversements des paramètres de la vie quotidienne (naissance, divorce, changement d’emploi...) qui contraignent à un réajustement des routines (Krizek, 2003 ; Kloekner, 2003). Évacuant un peu rapidement la dimension traumatique de ces tournants, certains des auteurs qui étudient la disposition des individus à changer de comportements de mobilité cherchent implicitement à les favoriser en arguant que les routines automobiles desservent les politiques publiques d’accompagnement aux mobilités durables. Pourtant, les pratiques répétées présentent l’immense intérêt de marquer les mémoires. Grâce à un questionnaire initial faisant sourdre des histoires de vie centrées sur les pratiques de mobilités, nous avons eu accès à une collection de témoignages relatifs aux processus de motorisation puis de démotorisation des parents des personnes interrogées (lorsque l’un au moins de ceux-ci a eu le permis). On fait ici appel à une mémoire de routines passées qui ont contribué à la socialisation aux diverses formes de mobilité (dans l’enfance, l’adolescence, la jeunesse) de nos interlocuteurs. Au fil des entretiens, un processus projectif se produit. Aborder la fin des routines automobiles parentales (parfois progressives, parfois brutales) permet aux personnes interrogées de prendre position et d’exprimer opportunément la manière dont elles préféreraient arrêter de conduire lorsque la question sera d’actualité pour elles-mêmes. L’approche biographique comporte donc un réel intérêt méthodologique pour aborder la délicate question de la démotorisation des seniors. L’approche longitudinale, par ailleurs, sous la forme d’entretiens répétés permis par l’installation d’une relation de confiance – voire de confidence – a aussi son importance. Elle présente l’immense intérêt de mettre en rapport un discours tenu l’année N sur l’éventualité d’arrêter de conduire avec celui que les mêmes personnes tiennent l’année N+1, N+2, N+3, au fur et à mesure qu’elles vieillissent et qu’elles doivent faire face à des ruptures de routines dans leurs mobilités (pour causes de déménagements, maladies, pandémie…). Ce faisant, leurs opinions sur la perspective d’abandonner le volant évoluent aussi. La conduite automobile diminue presque mécaniquement avec l’âge, « particulièrement après 75 ans » (Fontaine, 2003). Malgré la disparité des données recueillies dans une enquête de l’OCDE, il est établi que les personnes âgées se déplacent moins fréquemment et parcourent des distances plus courtes que les plus jeunes (OCDE, 2001). La vieillesse s’accompagne donc d’une diminution de la conduite automobile jusqu’à son renoncement (Torres, Gauthier, 2006) principalement pour des raisons de santé. « Un corps moins endurant, une vue qui baisse, changent les conditions de conduite, surtout sur des temps longs ou nocturnes de déplacement » (Luxembourg, 2005). La démotorisation est sinon à analyser d’un point de vue psychologique comme « une facette de la déprise ». « Le décès du conjoint ou d’amis, le déménagement d’un parent, ou encore l’augmentation du trafic sur un trajet emprunté, la fermeture de services fréquentés [par habitude] » (Torres, Gauthier, 2006) sont autant de petites ou grandes raisons de décélérer, sans pour autant qu’une raison médicale en soit explicitement la cause. L’appétence à la mobilité chute, notamment parce que « les capacités d’adaptation des aînés ont des limites » ce qui les pousse « parfois à renoncer à des activités » (Wiebe, 2018). Mais il est nécessaire de se demander si la démotorisation des baby-boomers se produira de façon aussi mécanique qu’elle n’a pu se produire jusque-là, y compris lorsque une détérioration de la santé se présente. Hidlebrand (2003) et Rosembloom (2003) dans des travaux états-uniens, ou Schönfelder et al., (2003) et Fökber & Grotz (2006) dans des études européennes, mettent en exergue la paradoxalement ‘grande’ mobilité des personnes vieillissantes. En effet, dans les pays développés, depuis que les premiers représentants de la génération du baby-boom sont à la retraite, « les déplacements peuvent augmenter au passage à la retraite. Certains individus âgés se déplacent autant, voire plus que les cohortes de travailleurs plus jeunes. N’ayant plus de contraintes liées au travail, c’est principalement la mobilité de consommation et de loisirs qui contribue à faire augmenter le nombre et la fréquence de leurs déplacements » (Rosenbloom, 2003, cité par Lord, Joerin, Thériault, 2009). Au fond, l’avènement de la retraite ne marque pas une rupture nette dans leurs pratiques de mobilité. « Par renouvellement des générations, les personnes âgées peu motorisées et peu mobiles sont progressivement remplacées par d’autres, plus habituées à la conduite automobile et qui, par leurs pratiques modales, se rapprochent plus des adultes en âge d’activité que des générations antérieures de retraités ». (Pochet, 2005) L’entrée dans la période de la retraite se fait donc désormais « de plus en plus avec une expérience de la voiture bâtie de longue date ». C’est particulièrement vrai pour « les femmes rattrapant progressivement leur retard sur les hommes depuis une vingtaine d’années [puisque] nombre de couples de retraités possèdent désormais deux véhicules ». (Pochet, Corget, 2010). Un doute subsiste donc sur l’émergence de nouveaux processus sociaux au grand âge ce qui nous ramène, dans les travaux quantitatifs, à une question classique : effet d’âge ou de génération ? Afin de mieux analyser et comprendre les processus sociaux à l’œuvre, l’enquête qualitative est également bienvenue. La communication vient rendre compte des premiers résultats de nos enquêtes en nous focalisant sur ce que révèlent les trajectoires de vie, sinon des tranches de vie des personnes âgées. Nous mettrons en évidence : • des trajectoires féminines et masculines de démotorisation bien distinctes ; • la place ambivalente des conjointes dans l’accélération ou le ralentissement du parcours de démotorisation des messieurs • l’importance de l’histoire familiale dans les choix d’auto-limitation de la conduite automobile • la place de l’accident survenu dans l’auto-limitation des vitesses automobiles pratiquées • le lien entre l’importance accordée aux valeurs d’indépendance et à de liberté dans sa jeunesse et la difficulté à lâcher le volant aujourd’hui • la fluctuation des opinions relatives à l’usage de la voiture selon l’évolution de l’état de santé des personnes année après année • le paradoxe de l’anticipation d’une démotorisation : « plus j’attends, plus j’ai le temps » et l’illusion de la permanence qui croit avec l’âge. • que le Covid-19 est venu bouleverser des projets de démotorisation. • que la chance d’être encore en couple pénalise l’anticipation d’une démotorisation. Nous concluons sur une proposition inédite. Si le partage d’un même lave-linge constitue l’événement-clé idéal-typique de la mise en couple (Kaufmann, 1997), nous proposerons d’élever l’achat du chariot à roulette (Caddie) au rang d’événement-clé idéal-typique révélateur de l’acceptation d’une vie sans voiture par la personne âgée.

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Dates et versions

halshs-04373623, version 1 (05-01-2024)

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  • HAL Id : halshs-04373623 , version 1

Citer

Joël Meissonnier. La démotorisation des seniors : un virage difficile à négocier dans l’histoire de vie. : Quid des baby-boomers ?. 5èmes Rencontres Francophones Transport - Mobilité (RFTM), Université de Bourgogne, Jun 2023, Dijon, France. ⟨halshs-04373623⟩
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Dernière date de mise à jour le 07/04/2024
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