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Communication dans un congrès Année : 2022

Papy-boomers : prolonger sa mobilité coûte que coûte ? Entre tactiques (in)censées et pratiques genrées

Résumé

Il y a 20 ans, Hidlebrand (2003) et Rosembloom (2003) dans des travaux états-uniens ou Schönfelder et al., (2003) et Fökber & Grotz (2006) dans des études européennes mettaient en évidence un paradoxe. Celui de la plus ‘grande’ mobilité des personnes vieillissantes, particulièrement en voiture. Phénomène nouveau, on observait qu’au passage à la retraite, « certains individus âgés se déplacent autant, voire plus que les cohortes de travailleurs plus jeunes. N’ayant plus de contraintes liées au travail, c’est principalement la mobilité de consommation et de loisirs qui contribue à faire augmenter le nombre et la fréquence de leurs déplacements » (Rosenbloom, 2003, cité par : Lord, Joerin, Thériault, 2009). Ce résultat n’a été que l’une des nombreuses illustrations d’un changement générationnel majeur : l’arrivée à l’âge de la retraite des représentants du Baby-boom, une génération qui a « fait » Mai 1968 ; une génération qui en toute choses s’est rarement comportée comme les générations qui l’ont précédée. Cette génération a largement bénéficié d’une mobilité ascendante au cours des trente glorieuses ; elle a définitivement achevé la démocratisation de l’automobile pour toutes et tous ; elle a massivement contribué au rêve pavillonnaire en allant vivre dans le périurbain et elle continue à être l’une des principales générations en mesure d’acheter des voitures neuves. Cette génération qui a fait de l’indépendance son credo va pourtant devoir se résoudre à vivre l’âge de la dépendance. Les papy-boomers les plus âgés ont 77 ans et entrent dans le 4ème âge. Vont-ils et vont-elles parvenir à lâcher le volant en toute sécurité ? Statistiquement parlant, l’accidentalité des personnes âgées n’est pas un sujet d’inquiétude à ce jour. Les recherches menées dans les années 90 à la fois aux Etats Unis (Dulisse, 1997) et au Royaume Uni (Maycock, 1997) ont prouvé que, contrairement à l'opinion courante, les conducteurs âgés ne constituent pas un risque excessif pour les autres usagers de la route. Par ailleurs, « à kilométrage égal, le risque d’accident n’est pas plus élevé pour un conducteur âgé » (Langford, 2006). Et si on relève une implication plus élevée des personnes âgées dans les accidents survenant aux intersections en Finlande (Hakamies-Blomqvist, 1993), au Canada, en France ou au Japon, « l’hypothèse d’une accidentologie spécifique aux personnes âgées n’est pas très convaincante. (…) La particularité d’un accident en intersection est bien qu’il se construit au moins à deux ». (Torres, Gauthier, 2006). Certains auteurs insistent sur la fragilité des corps âgés, pointant le fait que chez eux, ce sont seulement les « conséquences des accidents [qui] sont plus souvent mortelles, conséquences logique de leur vulnérabilité aux chocs et aux blessures » (Lafont, Lomont, 2003). Les auteurs retiennent enfin que « l’implication des plus de 65 ans dans la mortalité est la plus faible pour l’ensemble des classes d’âge des usagers » et que les conducteurs et les conductrices les plus âgés « sont loin d’être sur-représentés dans la mortalité routière des adultes aujourd’hui en France ». (Drulhe, Pervanchon, 2004). Dans quelle mesure faut-il imaginer que les choses puissent changer avec l’arrivée au 4ème âge des baby-boomers ? Des données récentes de l’ONISR montrent qu’en France, la mortalité en lien avec l’accidentalité routière diminue très significativement – toutes classe d’âge confondues, c’est une évolution de -26 % entre 2010 et 2021 – mais qu’il est important de segmenter ces résultats par classe d’âge tant ils révèlent de différences de l’une à l’autre. Alors que les 25-34 ans sont nettement moins touchés au cours de la dernière décennie (- 43%), les classes d’âge du babyboom le sont bien davantage : + 3 % pour les 55-64 ans et surtout + 22 % pour les 65-74 ans. D’après Laetitia Marie Dit Asse, on serait en présence de deux formes adaptatives aux difficultés liées à l’âge différentes. « Dans un premier cas, on est en présence de conducteurs qui ne modifient pas suffisamment leurs habitudes de conduite, compte tenu de leurs déficits. On peut penser qu’ils présentent alors un sur-risque d’accident. Dans le second cas, les conducteurs modifieraient de façon excessive leurs habitudes de conduite, ils auraient un risque d’une perte de mobilité prématurée ». Et Laetitia Marie Dit Asse de conclure « que les hommes appartiendraient plutôt au premier groupe de conducteurs, conduisant au-delà de leurs capacités de conduite tandis que les femmes appartiendraient au deuxième groupe de conducteurs, s’arrêtant de conduire prématurément ». (Marie Dit Asse, 2015). Une part considérable des débats scientifiques relatifs à la mobilité des personnes âgées a porté sur la question de savoir s’il faut ou non leur interdire l’accès au volant et le cas échéant à quelles conditions, dans quelles circonstances ou à partir de quel âge. Plutôt que de prendre part à ce débat, nous proposons de nous pencher sur les pratiques de conduite automobile relatées par les personnes concernées elles-mêmes ; de tirer parti des résultats d’une enquête en cours au sein de la métropole lilloise en prenant le genre pour focale d’analyse. Dans l’objectif de mieux comprendre et analyser l’évolution des pratiques de mobilité de la génération du baby-boom, la Métropole Européenne de Lille a commandé au CEREMA une enquête longitudinale. Commencée à l’hiver 2019-2020 et pour une durée de 5 ans, ce suivi annuel comporte deux volets : une enquête quantitative par quota auprès d'un échantillon de 1000 seniors (65 ans et plus)2 ; une enquête qualitative socio-anthropologique et compréhensive par entretiens semi-directifs répétés (en face-à-face puis par téléphone pour cause de COVID) auprès d’un panel de 27 ménages de plus de 68 ans. L’intérêt de l’enquête est d’être une fenêtre d’observation en prise directe avec les processus à l’œuvre. Elle vise une meilleure compréhension de la manière dont les papy-boomers de la métropole lilloise font évoluer leurs pratiques de déplacement et stratégies de localisation. L’enquête quantitative permet de documenter et d’évaluer la place relative des femmes et des hommes sur différents points : possession du permis de conduire, fréquence d’usage de la voiture, partage ou non d’une même voiture, possession différenciée (homme / femme) d'un abonnement TCU, influence (genrée) de la commune de résidence sur la fréquence d'usage de la voiture, tendance (genrée) à ne pas renouveler son véhicule s'il tombe en panne, nombre de kilomètres parcourus par les hommes et par les femmes… L’enquête qualitative permet quant à elle d’explorer les tactiques – souvent genrées – mises en place par les personnes âgées pour faire face aux défis du vieillissement. Les hommes sont manifestement plus téméraires que les femmes pour continuer à conduire, mais des contre-exemples existent. Les choses semblent moins binaires que Laetitia Marie Dit Asse ne le laisse entendre. La contribution pointe notamment comment des femmes, devenues dépendantes des hommes dans leur mobilité, font « bloc » avec leurs conjoints pour qu’ils continuent à conduire participant, parfois malgré elles, à repousser l’échéance d’une démotorisation pourtant urgente. Nous présentons aussi des tactiques d’entraide où la conduite automobile s’envisage « à deux », dans une forme de compensation coopérative des déficits individuels au sein du couple, tel l’aveugle et le paralytique. Nous évoquons enfin les débats que la perspective d’une démotorisation vient alimenter au sein du couple comme au sein de la famille élargie.

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Dates et versions

halshs-04374368, version 1 (05-01-2024)

Identifiants

  • HAL Id : halshs-04374368 , version 1

Citer

Joël Meissonnier, Fabrice Hasiak, Maria Tebar. Papy-boomers : prolonger sa mobilité coûte que coûte ? Entre tactiques (in)censées et pratiques genrées. Rencontres Francophones Transport Mobilité (RFTM), Université du Luxembourg; Luxembourg Institute of Socio-economic Research, LISER, Jun 2022, Esch-sur-Alzette, Luxembourg. ⟨halshs-04374368⟩
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Dernière date de mise à jour le 07/04/2024
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