Cap au Nord ! proclame aujourd’hui une association qui rassemble des entrepreneurs installés dans les interstices disponibles entre les cités, les autoroutes, les voies de chemin de fer et le relief parfois tourmenté des ainsi dits « quartiers nord » à Marseille. Les discours ont pris incontestablement une tonalité conquérante. Le vaisseau amiral de cette armée en manœuvre c’est évidemment Euromed, la grande opération d’aménagement des espaces portuaires qui entame sa seconde phase . Sur une vaste zone qui déborde désormais du front de mer, le plan prévoit cinq ensembles qui doivent constituer un « ecoquartier » incluant du logement social (surtout des résidences pour étudiants), de l’accession à la propriété, et des espaces conçus pour des « makers ». La reconquête est d’abord une affaire de vocabulaire. On fait des « éco-quartiers » chauffés (et refroidis) à l’eau de mer qui incluent des espaces végétalisés et de l’agriculture urbaine en permaculture autogérée. On crée des « Fablab » où se retrouve en « We camp », des « makers ». Ils sont là d’ailleurs, dans une ancienne usine occupée par des artisans, des architectes, des « créatifs », certains débarqués de Montreuil où le concept a fait florès, pour l’instant dans le bruit infernal des tractopelles et des norias de camions qui évacuent les gravats. L’accord du grand capital et du petit est scellé, Bouygues, Nexity, Veolia, offrent les espaces (provisoirement, le temps de leur trouver un autre destin), les petits fours et le vin blanc (de Cassis) des inaugurations, et du ‘matos’. Non, on ne dit pas matériel, on dit bien ‘matos’, nous avons vérifié, parmi lesquels des conteneurs. Le bon vieux conteneur métallique, 20 ou 40 pieds, « the box » , est bien l’objet transitionnel de cette mutation. Il fait l’objet de ‘déco’, module de base des aménagements, érigé en symbole des transformations et de leur raccord imaginaire au passé industriel du port. Des conteneurs d’ailleurs qui pour l’essentiel évitent le port de Marseille : certes, il reste toujours le premier port français et le troisième port européen, mais il le doit d’abord au pétrole, principal flux passant par là. Pour le trafic conteneurisé, Marseille est 87e port mondial, 27e port méditerranéen, loin désormais derrière Port-Saïd, Tangermed, ou Malte. C’est d’ailleurs cette mise à l’écart qui crée la disponibilité des espaces portuaires et arrières portuaires sur lesquels aujourd’hui se réinvente ce nouveau vocabulaire urbain.