Dans cette contribution, nous voulons porter un regard philosophique sur la relation entre la politique et les techniques d’administration et de gestion. L’activité politique est souvent aperçue par la philosophie comme le domaine de l’agir collectif, et considérée, dans des sociétés sécularisées, comme la modalité fondamentale pour développer une action réfléchie capable d’orienter leur devenir historique. Or, elle ne consiste pas moins en l’administration des humains et en la gestion des choses, deux dimensions fondamentales dont il apparaît a minima nécessaire de considérer qu’elles représentent les conditions de possibilité et même de réalisation de l’agir collectif. Or, à part certains auteurs qui ont entrepris de questionner le phénomène bureaucratique , la relation entre ces trois aspects a traditionnellement été minorée par le questionnement philosophique, comme si l’importance des moyens de la politique se trouvait déniée par la philosophie, ou en tout cas considérée comme une chose sans relief ni profondeur. De plus, par elle-même, la sous-détermination par la philosophie de la nature particulière et des usages de l’administration et de la gestion s’avère génératrice d’une illusion typiquement philosophique sur la politique. Cette sous-détermination présente le défaut d’occulter un certain nombre de caractères irréductibles de la politique, ce qui limite la compréhension de cette dernière. Mais elle devient un véritable problème en regard de l’évolution de l’administration et de la gestion sous l’effet des nouvelles technologies informatiques et numériques. A l’ère de « l’algocratie » définie comme le pouvoir consenti aux algorithmes dans la vie culturelle et politique , quelle peut être la pertinence d’une pensée philosophique de la politique qui se montrerait aveugle et sourde sur une des plus grandes transformations depuis l’usage de l’écriture à des fins civiles, c’est-à-dire depuis les prémisses de l’État et de l’approche rationnelle de l’agir collectif ?