Dans l’analyse électorale, la catégorie socioprofessionnelle est partout, le travail nulle part – ou presque. Les groupements socioprofessionnels comptent en effet parmi les principales variables utilisées dans la construction des agrégats statistiques ayant des effets électoraux ou, pour le dire autrement, des "classes" permettant d’identifier "qui vote pour qui". Variable rustique mais centrale des lignes d’analyse d’une chronique électorale savante comme journalistique, les catégories socioprofessionnelles englobent d’une certaine façon les professions mais informent peu sur la réalité spécifique de chacune d’elles. Certes, la socialisation au et par le travail est pourtant une dimension de l’expérience sociale dont les effets sur l’individu sont renseignés depuis loin. L’exercice d’une profession place quotidiennement et durablement les individus dans un type singulier d’environnement, au sens où les cadres institutionnels, matériels comme relationnels mais aussi les missions dont ils ont la charge sont ancrés dans des milieux qui sont à la fois socialement et spatialement situés et qui sont caractérisés par des styles spécifiques d’interactions. Chaque "culture de métier" correspond donc à des types de trajectoires sociales et s’articule à des endroits précis de la réalité. Dans les analyses électorales, la "classe sociale" ou la "catégorie professionnelle" est d’ailleurs utilisée comme un facteur explicatif (voire prédictif ) du vote ou de la participation. Cependant, les effets du statut socioprofessionnel et ses corrélats (niveaux d’autonomie et de revenu, prestige social, être indépendant ou salarié, etc.) sur le vote sont largement présupposés et trop peu explorés en réalité. Pour l’essentiel, au fond, la façon dont le statut socioprofessionnel produit des préférences et des alignements du vote demeure une boîte noire des études électorales. C’est précisément cette énigme qui est explorée ici, en étudiant les expériences professionnelles en tant que matrice de dispositions politiques et du rapport au vote.