Un livre d’Évangiles, réalisé vraisemblablement à Troyes à la fin du XIIIe siècle, pour l’abbaye féminine Notre-Dame-aux-Nonnains, sera au cœur de notre réflexion. Il était utilisé dans le cadre d’un rituel assez long qui marquait l’entrée du futur évêque dans la cité troyenne, la veille de son investiture. Au cours de ce rituel, le codex devenait un livre juratoire. Véritable objet-signe, il servait aussi lors de fêtes liturgiques, sans doute lors de la procession des Rameaux et sûrement au cours de la commémoration de la Résurrection, le matin de Pâques. Ce livre d’Évangiles à la luxueuse reliure, porté par l’évêque lors du re-jeu de l’entrée du Christ à Jérusalem, était inséré dans la vie processionnelle, au cœur du tissu urbain, rendant matériellement visible la présence du Verbe et la manifestation de sa Parole au sein de la cité. Le circuitus – la procession et ses stations – permettait de redessiner l’espace communautaire avec ses polarisations et ses lieux singuliers. Grâce au livre d’Évangiles, aux gestes et aux paroles de l’évêque et du clergé, cette procession délimitait une aire sacralisée à l’intérieur de la cité troyenne tout en créant des images – la réitération de l’entrée du Christ à Jérusalem – soudant dans l’expérience du rituel les habitants. Au cours de cette performance sociale dont il était l’un des agents, le codex acquérait toute sa force. Sa visibilité était accrue, sa virtus était renforcée par sa circulation dans l’espace de la cité.