Un certain nombre de travaux montrent les liens entre le commerce équitable et l’économie aristotélicienne d’une part, et entre le commerce équitable et l’approche senienne de la justice d’autre part. En revanche, les interrogations que soulève ce double ancrage conceptuel du commerce équitable n’ont pas encore été explorées. Faut-il voir ces deux références théoriques à la manière de deux parallèles qui ne se croiseraient jamais, ou s’agit-il au contraire de les envisager comme convergeant vers un même type d’économie et de justice ? Le commerce équitable est ici le support d’une réflexion sur la compatibilité et les contrastes entre la bonne économie aristotélicienne et une économie moins injuste au sens de Sen, avec une insistance particulière sur l’articulation entre économie et justice chez ces deux auteurs. En particulier, nous suggérons que la « justice particulière » aristotélicienne rejoint l’idée de justice de Sen articulée autour des notions de « qualité d’agent » et de « raisonnement public ». Nous montrons comment cette dernière peut se traduire concrètement, et donnons un aperçu des conceptions alternatives de l’économie et du marché qui peuvent en résulter. Cette analyse permet d’une part de répondre à deux types de critiques formulées à l’encontre la théorie comparative de la justice de Sen et qui concernent sa portée pratique et sa portée critique. Il en ressort d’autre part une actualisation possible de la pensée d’Aristote sur le marché et le juste prix à l’aune d’une interprétation pratique de l’idée de justice de Sen.