Le passage de l'adolescence à l'âge adulte, le plus souvent qualifié de jeunesse, est riche en transitions. Cette période de la vie concentre en une dizaine d'année des changements majeurs : passer du statut d'enfant protégé par le giron familial à celui d'adulte indépendant financièrement et résidentiellement, mais aussi autonome moralement et psychiquement. La sociologie de la jeunesse insiste sur quatre changements, qui constituent des seuils dont le passage marque l'entrée dans l'âge adulte : la fin de la scolarité, l'insertion dans l'emploi, le départ du logement familial, et enfin, la constitution de sa propre famille. Pour la génération du baby-boom, ces quatre marqueurs avaient lieu presque en même temps. Leur articulation se déclinait cependant différemment pour les garçons et les filles à une époque où dominait un modèle de famille à forte division des rôles des sexes, souvent qualifié de modèle de Mr Gagnepain et Mme Aufoyer. Pour les garçons, surtout donc, à la fin de la scolarité et de l'apprentissage, intervenait le premier emploi et presque en même temps les premières expériences de vie conjugale, conduisant à la décohabitation et à la fondation d'un nouveau ménage. Pour les filles, la transition se faisait soit de manière analogue, soit par leur entrée dans la posture de mère au foyer, surtout si la mise en couple avait été suivie rapidement de l'arrivée d'un premier enfant. Ces événements sont désormais désynchronisés, mais aussi réversibles. C'est le cas par exemple lorsqu'une jeune personne qui avait son appartement retourne vivre chez ses parents suite à une séparation, à la perte de son emploi, ou à la fin de ses études en attendant de trouver du travail. Le passage de ces seuils s'étale également sur une période qui ne cesse de s'allonger. Dans ce contexte, que dire des jeunes gens qui mettent en attente le franchissement des seuils de passage vers l’âge adulte en se retirant au domicile de leurs parents, où, plus rarement, à leur domicile, durant de nombreux mois ou années. Age de la mise en mouvement dans une perspective de placement social, la jeunesse est construite par la société comme une période d‘investissement pour l’avenir. Les étapes qui scandent les parcours de jeunesse sont très normées et leur expérience est donc partagée par un très grand nombre. Ceux qui, volontairement ou non, mettent un moratoire sur les exigences sociales attachées à cette période de la vie interrogent l’essence sociale même de la jeunesse, qui ne constitue alors plus une période d’investissement mais d’attente, de pause, de mise en suspens. Lorsqu’une jeune personne ne franchit pas ces seuils dans la temporalité attendue (par exemple ne part pas de chez ces parents alors qu’elle a atteint un âge avancé) ou semble refuser par ses comportements de s’engager dans le franchissement de ces étapes, son attitude génère une inquiétude sur son bien-être, en même temps qu’une inquiétude sur son avenir. Le refus de se soumettre à la tendance générale du franchissement des étapes socialement convenues met les adultes - garants de ces normes de passage- en difficulté et souvent même en détresse. Au-delà du cercle des proches, la société toute entière n’envisage pas que les enfants restent dans le statut d’enfant en dehors des situations particulières du handicap et de la protection juridique des majeurs. Ce chapitre propose de réfléchir à une approche sociologique de ce phénomène.