Cette présentation s’intéresse aux apports des écrits de Georges Canguilhem aux questions géographiques actuelles, notamment celle à la fois des plus prégnantes et ambigües de « l’adaptation des territoires et des modes de vie aux changements environnementaux ». Georges Canguilhem a souvent mobilisé les travaux des géographes de l’école vidalienne (Vidal de la Blache, Sorre ou Faucher, par exemple) jusque dans les années 1950 pour examiner le lien entre social et vital (Cammeli, 2011 ; Le Blanc, 2002). Or ces références ne vont pas sans ambiguïté dans la mesure où les géographes ont dès les années 1940 beaucoup critiqué l’emploi de notion de « genre de vie » en ce qu’elle ne permettait pas de comprendre l’évolution des rapports des groupes sociaux à leurs territoires (Poirier, 1947 ; Gotmann, 1947), annonçant même non sans craintes « l’uniformisation des hommes » (Le Lannou, 1949), alors que les références canguilhemiennes à la géographie valorisent les paysages agraires encore peu, le croit-on alors, transformés par l’industrialisation de l’agriculture. C’est peut-être à l’aune de ce reflux de la géographie vidalienne jusqu’à la fin du XXe siècle, mais aussi du succès des intellectuels français des générations suivantes, qu’il convient de comprendre le peu de cas fait par les géographes français aux travaux de Georges Canguilhem. Or, avec le recentrement de plus en plus fréquent de la géographie sur les questions écologiques (en témoignent les intitulés des postes MCF depuis 3 ans), en quoi la philosophie du vivant de Georges Canguilhem pourrait-elle être intéressante aux géographes actuels ? Notre présentation voudrait illustrer cet intérêt en partant d’une formulation très actuelle, qui concerne l’adaptation des territoires aux changements/risques environnementaux. Nous montrerons tout d’abord le rejet profond de Georges Canguilhem de l’application du concept biologique d’adaptation appliqué aux faits sociaux (OC1, p.822 ; OCIV, p.1051). Cette critique nous amènera à nous demander s’il ne faut pas reconsidérer la notion d’adaptation en ce que les changements environnementaux exercent une menace existentielle sur les sociétés humaines et pousse à redéfinir le lien vital-social. En troisième lieu, nous tracerons des voies d’emprunts à l’œuvre de Georges Canguilhem pour cette question géographique en repartant de sa définition du social comme « réservoir de modèles » et en ciblant le pouvoir normatif des solutions locales apportées par des initiatives collectives et en valorisant les solutions qui se nourrissent de leurs erreurs. •Cammelli, M. (2011). Présentation du « Fascisme et les paysans ». In Braunstein, J.-F. & Schwartz, Y. (dir.). Canguilhem, G. Œuvres complètes, tome 1 : écrits philosophiques et politiques 1926-1939. Paris: J. Vrin, 515-535. •Canguilhem, G. (1939). Traité de logique et de morale . In Braunstein, J.-F. & Schwartz, Y. (dir.). Canguilhem, G. Œuvres complètes, tome 1 : écrits philosophiques et politiques 1926-1939. Paris: J. Vrin, 633-926. •Canguilhem, G. (1964). L’inadaptation, phénomène social. In Limoges C. (dir.). Canguilhem, G. Œuvres complètes, tome 4 : résistance, philosophie biologique et histoire des sciences 1940-1965. Paris: J. Vrin, 1051-1061. •Gottmann, J. (1947). De la méthode d’analyse en géographie humaine. Annales de géographie, 301, 1-12. •Le Blanc, G. (2002). La vie humaine : anthropologie et biologie chez Georges Canguilhem. Paris: Presses universitaires de France, 287 p. •Le Lannou, A. (1949). André Gibert, Les genres de vie dans le monde moderne. Revue de géographie jointe au Bulletin de la Société de géographie de Lyon et de la région lyonnaise, 24(1), 79-81. •Poirier, L. (1947). L’évolution de la géographie humaine. Critique, (8-9). 86-94.