Ecriture collaborative de portrait d’étudiants internationaux usagers de la ville : de l’atelier cartographique participatif au storymapping
Résumé
Notre communication vise à questionner, par une réflexion sur les affordances d’une écriture web multimodale interactive (Ibanez Bueno et Martin, 2021), les conditions matérielles, épistémologiques et méthodologiques d’une production collaborative de résultats scientifiques dans une recherche participative. Notre recherche a pour cadre général le projet MOBILES qui étudie l’expérience socio-spatiale d’étudiants internationaux, leurs pratiques de socialisation et d’apprentissages sur le territoire de la métropole lyonnaise, en faisant dialoguer les sciences du langage, la géographie et l’informatique. Sa méthodologie participative repose essentiellement sur des séries d’ateliers visant à faire participer les étudiants à la production de discours sur leurs propres pratiques et, ainsi, à « constituer des sources créatives » (Beaud et Weber, 2003, p.70) nous permettant de saisir, dans une démarche compréhensive, l’univers des représentations et des pratiques des participants. En 2021-2022, nous avons organisé une série d’ateliers cartographiques amenant les participants à rendre compte de leurs expériences socio-spatiales. Des enregistrements audiovisuels de ces ateliers ont été produits, à la fois pour attester des dynamiques de groupe dans la production d’un discours sur leurs expériences de la ville et pour retracer la production collaborative de différents objets et supports de représentations.
À la suite de cette première étape, nous avons organisé avec des étudiants volontaires une nouvelle série d’ateliers ayant pour but de concevoir des portraits d’étudiants usagers de la ville. La représentation de l’expérience subjective étant au cœur des préoccupations des chercheurs en sciences sociales mobilisant des méthodes visuelles, c’est sur cette série d’ateliers d’écriture que notre communication se concentrera. Ces ateliers se déroulent en deux phases. Dans un premier temps, à partir de données de recherche issues des premiers ateliers (extraits vidéos, images, cartes…), nous proposons un travail de catégorisation visant à rendre compte de la diversité des manières de se socialiser et des rapports aux lieux. Dans un deuxième temps, nous expérimentons une forme d’écriture composite de ces portraits, en explorant le potentiel de l’outil Storymap.js qui permet de produire des cartes de narration sous une forme multimédia (Chopin, s.d.). Ce type de cartes relève d’une « post-representational cartography », dans le sens où la carte vaut par la qualité du processus de son élaboration et n’est interprétable qu’associée aux « choix méthodologiques, politiques et scientifiques dont elle est la résultante » (Caquard et Joliveau, 2016). Même si ces outils sont de plus en plus connus et utilisés, il existe encore peu de projets dont les productions scientifiques se présentent sous une telle forme. Notre objectif est de transférer une partie de la production scientifique du texte vers d’autres façons de faire récit, comme pour l’essai visuel (Pauwels, 2012), à la fois dans la production et dans la communication des résultats de la recherche (Shortell & Lizama, 2017).
Les méthodes visuelles participatives mettent en effet l’accent sur le pouvoir d’action des participants de manière performative (prendre des photos, agir devant la caméra, dessiner, schématiser), mais aussi pendant l’analyse des matériaux collectés. En organisant ces ateliers pendant lesquels les données produites sont discutées et analysées, il s’agit pour nous non seulement de reconnaitre mais surtout de mettre à l’épreuve le fait que tout acteur participe à la production de connaissances, dans le dialogue entre savoirs expérientiels et savoirs encyclopédiques. Nous concevons donc ces ateliers comme une tentative de démocratiser la recherche en permettant aux participants de (re)prendre le pouvoir sur les questions qui les concernent et sur la manière dont ils sont représentés et d’interroger les rôles endossés par les chercheurs et les participants (Kesby, 2010).
En proposant un dispositif dialogique allant au-delà de méthodes comme la photo-élicitation ou l’entretien d’auto-confrontation, le format participatif de ces ateliers permet de questionner ses propres pratiques, de jouer avec ses propres histoires et celles des autres. Ces portraits posent la question des points de vue et la manière dont le processus de production intègre trois niveaux d’interprétation : celui des chercheurs, celui des participants et celui des publics (Desille & Nikielska-Sekula, 2021). Nous examinerons ainsi la manière dont des choix sont opérés : choix des catégories composant les portraits, choix des données les composant, choix de l’agencement de ces éléments pour faire récit.