Aux croisements de la sociologie économique, de la sociologie des professions et des outils de gestion, cette thèse vise à élucider les conditions de pérennisation d’un marché de niche dont l’existence apparaît faîtière pour l’organisation des échanges maritimes dans la mondialisation. L’analyse se focalise sur un moment clé du transport, une transaction pivot, le basculement des marchandises de la sphère terrestre à la sphère maritime. Alors que traditionnellement, ce point nodal est étudié au sein des complexes portuaires, notre étude empirique déplace le curseur sur une profession méconnue qui a, pourtant, un rôle décisif dans l’affrètement de navires : les courtiers d’affrètement maritime. Ces intermédiaires facilitateurs, permettent, depuis leur bureau, la connexion entre deux niveaux de la chaîne de valeur du transport maritime, la marchandise d’une part, le navire pour la transporter d’autre part. Sur la base d’une soixantaine d’entretiens auprès d’une diversité d’acteurs de la chaîne de valeur et de quatre périodes d’observations directes, dans des cabinets de courtage, nous répondrons à la question de recherche suivante : comment s’organise le courtage dans l’affrètement maritime au voyage et quels sont les facteurs explicatifs de la pérennité de cette activité ? Dans la mesure où l’écosystème du fret maritime repose sur des fondements historiques séculaires, le premier chapitre propose une démarche de typologie historique. Cet exercice méthodologique nous permet d’introduire la notion de régime d’affrètement maritime et de mettre en lumière une distinction entre régime d’affrètement et contrat d’affrètement maritime. Le second chapitre se concentre, plus spécifiquement, sur le métier de courtier de vrac dans le régime d’affrètement actuel. Le recours à l’historicisation de la profession met en exergue les fondements structurels et symboliques qui ont permis au courtier de se rendre indispensable dans l’affrètement au voyage. Le caractère prudentiel de leur activité réduit les incertitudes et leur assure un marché de niche. Dans ce prolongement, le troisième chapitre va décrire finement le processus de négociation des clauses de la charte-partie au voyage. Le courtier est au coeur d’un agencement organisationnel qui l’amène à dépasser le cadre formel de sa relation de services entre l’affréteur qui charge et le fréteur qui achemine. Le temps particulier de cette négociation ne saurait faire oublier que le prix du transport, dans lequel cette prestation se situe, est très largement encadré et normalisé par des outils financiers et de gestion. Ainsi le quatrième et dernier chapitre met en lumière que les courtiers de vrac se trouvent dans une situation de tarification de leur activité en partie hétéronome, qui les place au coeur d’un champ de forces du capitalisme globalisé : au coeur de l’organisation du Baltic Dry index. Bien que facteurs de pressions, ces rapports asymétriques ne font, pourtant, pas disparaître l’activité dont le caractère prudentiel apparaît difficilement substituable et ainsi, pourrait-on dire « too small to fail ».