Á l'apogée de leurs gloires respectives, Habsbourgs d'Espagne et Bourbons ont entretenu un rêve de monarchie universelle. Charles Quint le premier, héros d'une mystique moderne de l'empire, jeta les bases d'un discours symbolique à la croisée de plusieurs héritages : les couronnes prophétiques de Naples et de Sicile du côté aragonais, la Toison d'or bourguignonne et la quête de l'empire d'Orient ainsi que le Saint Empire Romain Germanique. Á sa suite, Philippe II apposa sa marque personnelle pour en faire son empire « particulier », un empire moral faisant des Habsbourg d'Espagne les nouveaux rois-Christ, tant que dura la prépondérance de leur discours messianique. Louis XIV, Mars christianissimus, fut-il une figure héroïque empruntée aux grands Habsbourg ? Les deux modèles, qu'un siècle et plus sépare, sont en effet très semblables tant sur le plan de la pratique que sur celui du discours idéologique. La présente communication propose donc de répondre à la question de la validité ou non du modèle espagnol concernant le messianisme de Louis XIV et ses représentations.
Quelle fut, tout d'abord, la place de Charles Quint et de Philippe II dans l'éducation de Louis XIV ? Charles Quint est présent dans les ouvrages d'édification proposés pour l'éducation du jeune roi et plus tard du Dauphin. Cette présence est néanmoins discrète, figurant au titre de l'exempla propre à édifier tandis que l'idée de filiation est quasiment écartée. Philippe II, quant à lui, incarne l'ambivalence du modèle espagnol, entre admiration et répulsion. La Maison d'Autriche put, de cette façon, susciter l'éloge et inspirer le jeune roi dans la conduite de son gouvernement mais sans oublier l'ennemi qui se dissimule derrière ce modèle de grandeur qui rayonna au « desavantage de mon païs » comme le soulignait Antoine Varillas. Le messianisme de Louis XIV prend davantage racine dans des figures identitaires de la gloire nationale, telles que Clovis, saint Louis et Henri IV. Le modèle espagnol, s'il en était, serait celui de l'antipathie valorisant l'héritage français et le modèle de sa grandeur à venir. En effet, Louis XIV, avant même d'être Grand, était déjà l'alpha de la gloire de la Maison de France que les thuriféraires, désireux de le bien servir, avaient très tôt dépeint. La concurrence entre les deux Maisons écartait d'emblée la légitimité du modèle espagnol et laissait place à une représentation commune aux discours hégémoniques dans laquelle ne manqua pas, néanmoins, de percer une spécificité louis-quatorzienne.
S'il est possible de concevoir un emprunt français à la pratique espagnole de la majesté, il en est tout autrement du discours idéologique et de ses attributs qui furent avant tout ceux d'un modèle français déjà ancien, n'attendant que l'éclipse des Habsbourgs pour briller de tout l'éclat de son astre.