Marie-Edmée Pau (1845-1871), se vit comme une âme masculine emprisonnée dans un corps de femme ; pour elle, l’ennui est l’expression d’une impossibilité d’être, à une époque et dans un milieu où le clivage entre les sexes est particulièrement marqué. En s’identifiant à des ennuyés masculins, notamment le René de Chateaubriand, Marie-Edmée trouve un moyen de se distinguer de ses compagnes supposées insensibles à ce fléau. Elle perçoit son propre désenchantement comme lié à une grande âme empêchée de se réaliser. Mais si elle souffre de l’étroitesse des possibilités offertes aux femmes de son temps, elle achoppe plus rudement encore sur l’obstacle représenté par son corps de jeune fille. Bientôt elle assimile son ennui à son corps et à ses désirs, perçus comme un obstacle à la réalisation de son utopie : celle d’un au-delà dans lequel la différence des sexes serait abolie. Dans son renoncement au désir comme à la révolte, elle se rapproche des femmes, contraintes par l’ordre social de neutraliser leur agressivité. Elle se calque sur des modèles romanesques féminins pour sublimer son ennui et entreprend un processus de décorporéisation. L’ennui la ramène ainsi ironiquement à ses semblables. C’est ainsi que l’admiratrice de René connaîtra la fin d’Atala.