L’objectif de cette conférence était d’une part de définir les caractéristiques d'une construction narrative en spirale et d’autre part, d’identifier ses principales fonctions. Enfin, je voulais confirmer l’existence de cette structure narrative particulière ainsi que la validité de sa définition par la recherche et l’analyse d’autres exemples dans la littérature indienne. Les trois principales caractéristiques de la construction narrative en spirale que j’ai pu dégagées sont les suivantes: 1. Dans ce type de structure narrative, le récit centré sur un personnage avance par répétition cyclique d’un schéma narratif à éléments fixes. 2. Ces répétitions tournent autour d'un même axe, but ou objectif (dénouement) et s'en approchent progressivement. 3. Dans chacune d’elles, les événements passés expliquent les événements présents et/ou futurs. Ainsi le concept de “spirale narrative” comprend à la fois la définition mathématique du substantif “spirale” - une courbe s'enroulant régulièrement autour d'un point dont elle s’approche de plus en plus- et celle plus figurée d’évolution ascendante incoercible. Outre l’exemple initial de la triple naissance de la déesse qui souhaite dans chacune de ses existences être l’épouse de Śiva (Skandapurāṇa), deux autres exemples de spirales narratives au sein du corpus du bouddhisme Theravāda ont été explorés: - l’époque lointaine dans l’Histoire du Bouddha Gotama (Jātakanidāna) qui raconte, entre autres, comment le Bodhisatta a reçu 24 fois la prophétie de son éveil - le récit des vies antérieures de Phusatī dans le Jātakata de Vessantara (Jātakatthavaṇṇanā), dont le voeu de devenir mère d’un Bouddha finit par se réaliser. Dans chacune de ces histoires, le personnage connaît des existences répétées. Dans chacune de ses vies, il fait un voeu, accomplit des actions en vue de cet objectif jusqu’à ce qu’enfin il l’atteigne. L’analyse de ces récits a permis de trouver plusieurs usages de la spirale narrative : - l’accumulation : la spirale accumule des récits à la structure identique sans digression narrative ni ajout de nouveaux détails - la révolution : la succession des cycles, par l’ajout de nouveaux éléments, permet de remplacer partiellement voire totalement la situation initiale - l’amplification ou la complexification : de nouveaux éléments s’ajoutent à chaque nouveau cycle jusqu’à atteindre la complétude finale - la légitimation : la spirale crée une relation logique par la répétition des mêmes causes et des mêmes effets Les fonctions possibles de cette construction narrative sont multiples : - sur le plan narratologique : la spirale narrative peut conférer à un récit inédit une impression de déjà-vu, créer un horizon d'attentes, offrir un guide de lecture, donner de la cohérence - sur le plan dogmatique : elle peut proposer un changement de valeurs ou, au contraire, démontrer la stabilité ou la vérité du dogme, légitimer des pratiques, des personnes, des concepts - sur le plan didactique : elle peut donner un exemple d'atteinte de réussite, baliser les étapes d’un parcours, encourager ou inspirer le lecteur Cette première exploration narratologique ne demande qu’à être approfondie. Bien que les exemples soient issus de deux genres distincts et d’obédience religieuse différente, je me demande si la spirale narrative peut se trouver dans d’autres genres littéraires de l’Inde et ailleurs que dans le contexte indien