La dénomination d’« éthique » est peu présente dans les programmes scolaires français qui lui ont toujours préféré celle de « morale », y compris dans leurs versions les plus récentes avec la mise en place de « l’enseignement moral et civique » en 2015. Ce choix terminologique, qui a pu être justifié au nom de l’indistinction sémantique entre « morale » et « éthique » (Kahn 2015) ou d’une plus grande proximité avec le langage commun, peut aussi être lu comme l’indice des tensions constitutives au compromis consistant à réformer la formation du citoyen sans induire de trop forte rupture institutionnelle. Au regard d’une prégnance ancienne de « l’instruction » ou de « l’éducation civique » traditionnellement assurée dans l’enseignement secondaire par les professeurs d’histoire et géographie, les programmes d’EMC de 2015 (qui ont fait l’objet d’une « simplification » en 2018) actent de fait une montée en puissance de la dimension éthique (avec une volonté notable de s’inspirer des enseignements de l’éthique existant dans d’autres pays francophones). Quoiqu’articulée à la formation civique, l’éthique s’y déploie comme un domaine de compétences spécifique avec des objectifs d’apprentissage manifestement irréductibles à l’instruction civique. Le volet des programmes consacré à la « culture du jugement » se propose ainsi de « développer les aptitudes à la réflexion critique en recherchant les critères de validité des jugements moraux », proposition qui s’inscrit assez clairement dans une épistémologie de type philosophique et qui constitue le contrepoids réflexif de l’ambition également assumée de développer des dispositions sociables. Assumer cette dimension éthique des programmes suppose-t-elle alors que tous les professeurs en charge de l’EMC se fassent philosophes (étant entendu que les professeurs de philosophie eux-mêmes n’exercent qu’en lycée et que la réforme ne prévoit pas de leur donner une quelconque priorité pour assurer cet enseignement) ? Quelles sont les conditions d’appropriation d’un tel cahier des charges par des professeurs issus d’une autre discipline que la philosophie (sachant qu’au-delà de son horaire dédié, l’EMC revêt également une dimension transversale et qu’il est donc potentiellement appropriable par toutes les disciplines ) ? Sur la base d’une exploitation secondaire des quelques travaux empiriques existant sur la mise en œuvre de la réforme de 2015 (Douniès 2021, Amilhat 2021) ainsi que sur une expérience personnelle de formatrice de futurs enseignants du premier et du second degré, la communication présentée explorera les conditions effectives d’existence d’un enseignement de l’éthique aujourd’hui dans les établissements scolaires français. Assiste-t-on à une hybridation des cultures disciplinaires, à l’invention d’une discipline nouvelle ou à une implémentation faible de l’objectif de formation éthique ? Références citées Kahn, Pierre (2015). Un enseignement moral et civique pour la démocratie. Administration & Éducation, 148, 69-76. Douniès, Thomas (2021), Réformer l’éducation civique ? Enquête du ministère à la salle de classe. Paris, Presses universitaires de France, « Education & société ». Amilhat, Camille (2021). Apprendre le métier de citoyen. Contribution à l’étude de la socialisation politique scolaire, thèse de doctorat en sciences politiques, Université Paris I Panthéon-Sorbonne.