Il n’est pas rare de voir associés la laïcité et le vivre ensemble dans les discours institutionnels ou politiques contemporains, en particulier depuis les attentats de 2015 à la suite desquels la laïcité a été mise en avant comme garante du vivre ensemble, en particulier (mais non exclusivement) sur le plan éducatif dans le cadre de la grande mobilisation de l’école pour les valeurs de la République. Une telle association peut toutefois induire quelques confusions par obscurcissement des finalités et du périmètre de la laïcité. L’expression de « vivre ensemble », telle qu’elle est employée de nos jours renvoie en effet généralement à un idéal de sociabilité harmonieuse caractérisé par le respect mutuel, l’absence de violence et l’acceptation des différences. Le « vivre ensemble », comme expression substantivée, apparaît en cela comme une désignation du type de relations humaines que l’on souhaite voir prédominer dans des sociétés démocratiques pluralistes. Pour le dire autrement, dans un lexique rawlsien, il s’agit d’une conception du « bien vivre » dans sa dimension collective (Rawls 2009). Quoiqu’elle ait n’ai pas manqué d’être associée à de telles conceptions de la vie bonne ( Weill 2004, Kahn 2007), la laïcité n’a pas pour objet de définir la qualité des relations humaines. Elle est avant tout un concept politique visant, dans le cadre d’une théorie de l’État, à organiser les relations entre les institutions publiques et les cultes dans le respect de la liberté de conscience et de religion et de l’égalité des citoyens (Maclure et Taylor 2010, Calvès 2022). Cette organisation politique induit-elle en droit et/ou en fait une certaine manière de faire société, de tisser du lien social ? Y-a-t-il une (ou des) manière(s) spécifiquement laïque(s) de vivre ensemble ? On observera que si la laïcité se caractérise par une exigence de neutralité de l’État et la séparation de ce dernier d’avec les Églises, cette formule institutionnelle n’est pas la seule compatible avec les exigences pluralistes et libérales de la démocratie : à l’échelle de la seule Europe, il existe ainsi une pluralité de régimes des cultes, certains reposant sur des Églises établies, d’autre sur une reconnaissance publique de plusieurs cultes. Par conséquent, s’il existe une corrélation entre le cadre institutionnel présidant aux relations entre l’État et les Églises et la manière dont une société se représente le lien social, il est probable qu’une pluralité de configuration du vivre ensemble démocratique soient envisageables. En s’attachant au cas français dans sa diversité interne, la présente conférence se propose d’explorer les conséquences pouvant être tirées du principe de laïcité pour penser le vivre ensemble dans un cadre pluraliste. On s’attachera en particulier à examiner ses relations avec la vertu de tolérance ainsi qu’avec l’expression de la conflictualité des convictions. Références citées Calvès, G. (2022). La Laïcité. Paris, La découverte. Kahn, P. (2007). La laïcité est-elle une valeur ?. Spirale. Revue de recherches en éducation, n°39, p. 29-37. Maclure, J. et Taylor, C. (2010). Laïcité et liberté de conscience. Paris, La Découverte. Rawls, J. (2009 1987), Théorie de la justice, Paris, Seuil. Weill, G. (2004 (1929). Histoire de l’idée laïque en France, Paris, Hachette.