Plus que de s’inscrire dans le champ de la transgression ou de la dissidence, les résistances et contestations de certains surfeurs ne relèvent-elles pas d’une volonté de préserver l’habitabilité de la vague induite par l’acte de glisse ? Cet ancrage spatial renvoie-t-il à une quête existentielle dans la mesure où la corporéité de la glisse assurerait la transformation du lieu en espace ? Le cas échéant, n’est-il pas alors possible d’analyser les déviances, les dissidences, les contestations, les pratiques buissonnières, non plus comme de simples manifestations d’une contestation sociale et culturelle qui garantirait un sentiment d’appartenance communautaire fondé sur la revendication d’un écart à la norme, mais davantage comme l’expression d’une volonté de préserver un rapport privilégié à la nature au cours duquel les individus expérimenteraient leurs affectivités en ayant le sentiment qu’il participe d’une sécurisation de leur existence ? Fort de cette hypothèse qui consiste à penser que le surf présente donc une tonalité ordalique en introduisant une rupture hiérophanique, c’est-à-dire une manifestation du sacré, on circonscrit ainsi les enjeux d’une géographie de l’intime. Définie comme l’interprétation des ressorts émotionnels que convoquent les surfeurs pour opérer la mutation du lieu en espace et établir leurs territorialités en habitant la vague, la géographie de l’intime entend ainsi concourir à l’exploration des raisons pour lesquelles certains surfeurs défendraient leurs territoires récréatifs. Cet article, construit à partir d’une enquête ethnographique dont la méthodologie repose sur une « intuition » et une « connaissance tacite » (Kuhn, 1962) de ce que recouvre la pratique du surf au delà de ses aspects sportifs, met en lumière le fait que les résistances et contestations témoignent d’une volonté de préserver la dimension existentielle induite par l’habitabilité de la vague. Dans ce contexte, pour certains surfeurs, l’enjeu consiste à préserver le « Aloha Spirit », terme d’origine hawaïenne caractérisant l’essence originelle de la pratique du surf, qui signifie littéralement : l’expérience – alo - du souffle de vie – ha -.